À la fin des années 80, la lutte entre Mercedes-Benz et BMW est bien engagée et l’existence de la M5 agace profondément le constructeur à l’étoile. Et puis il y a les maisons allemandes de personnalisation automobile qui réalisent de jolis profits avec leurs modèles survitaminés. Il serait peut-être temps de réagir!
Si AMG est aujourd’hui la branche sportive de Mercedes-Benz, elle a commencé comme personnalisateur et préparateur de voitures de course en 1967. Ce n’est qu’en 1993 que les deux compagnies se sont rapprochées. Mercedes a acheté 51% d’AMG en 1999 avant d’en acquérir la totalité en 2005. Quant à la marque de Stuttgart, elle s’est déjà essayée dans la conception de modèles un peu plus délurés que les taxis diesel pour lesquels elle est alors reconnue. On pense à la 300 SEL 6.3 (de 1968 à 1972, produite à 6 526 exemplaires) reprenant le V8 M100 de la Mercedes 600 et à la 450 SEL 6.9 (de 1975 à 1981, produite à 7 380 exemplaires) avec une version réalésée du M100.
W124Cependant, le pain et le beurre de la marque restent des autos solides, destinées à abattre les kilomètres. La 190, code W201 et surnommée « Baby Benz », vient d’être lancée en septembre 1982. Avec elle, Mercedes dévoile un nouveau langage stylistique, développé par Bruno Sacco. Ce design sera repris sur les remplaçantes des increvables 200-300 W123, produites de 1976 à 1986, les W124. Techniquement très avancées pour l’époque, elles sont considérées par de nombreux amateurs comme étant les dernières Mercedes véritablement « conçues comme aucune autre voiture ». Cette génération bénéficiera de plusieurs carrosseries (berline, familiale, coupé, cabriolet, limousine) et connaîtra un joli succès commercial avec 2 562 143 exemplaires fabriqués de 1985 à 1996. Durant les premières années, la gamme repose sur des 4,5 et 6 cylindres en ligne essence et diesel. Mais les choses vont changer en 1988…
Des chevaux !Deux facteurs vont précipiter ce changement : le lancement de la BMW M5 (E28 de 286 chevaux en 1984 puis E34 de 315 chevaux en 1988, données européennes) et les États-Unis, qui demandent un moteur V8. Pas question de laisser le terrain libre à la concurrence de Munich ni de laisser filer des ventes sur le marché le plus profitable. Mais Mercedes fait face à deux problèmes : la W124 n’a jamais été étudiée pour recevoir un V8 et l’essentiel des ingénieurs est monopolisé sur le projet W140 (la Classe S de 1991) qui sera, selon la marque, un monument d’ingénierie (lire de complexité). Que faire? Mercedes pourrait toujours faire appel à une société voisine, située dans la périphérie de Stuttgart et qui possède quelques compétences dans la conception de voitures de sport…
Porsche à la rescousse !Chez Porsche, en 1988, l’ambiance est à la panique. Les ventes se sont écroulées : la compagnie n’a produit que 25 969 véhicules contre 48 520 en 1987. Le contrat de développement des W124 à moteur V8 est une bouffée d’oxygène pour le bureau d’ingénierie de Porsche, connu pour réaliser des projets pour d’autres constructeurs. Pour Mercedes, il s’agit d’une occasion de resserrer les liens avec le fabricant de voitures de sport. La marque à l’étoile observe soigneusement ce qu’il s’y passe et envisagera même un temps de le racheter (il faudra attendre le lancement de la Boxster en 1996 pour que Porsche retrouve la forme). Le contrat signé entre les deux compagnies stipule que Mercedes sera responsable du design et de l’aérodynamisme et Porsche… du reste! Le projet 2758 démarre chez Porsche sous la direction de Michael Hölscher et demandera près de deux ans de développement.
Porsche redessine tout le berceau avant pour pouvoir y glisser au chausse-pied des V8. Le bloc choisi est le M119 de 5,0 litres, présenté au lancement de la 500 SL R129 au millésime 1989, mais dans une version avec un carter moteur modifié. Une variante 4,2 litres sera introduite en 1992, principalement pour le marché nord-américain (sous le nom de 400E). Il offre 326 chevaux et 480 newton-mètres de couple en Europe ou 322 chevaux et 354 lb-pi de couple en Amérique du Nord. Seule une boîte automatique à 4 rapports (W4A 040) est disponible, simplement parce qu’il n’y a pas chez Mercedes de boîte manuelle pouvant résister au couple du V8. Les ingénieurs modifient également la cloison pare-feu et élargissent le tunnel central pour pouvoir installer de plus gros pots catalytiques. Les suspensions et les freins proviennent aussi de la SL R129, entraînant une augmentation des voies de 37 millimètres à l’avant et de 38 à l’arrière. Tout cela implique des ailes élargies de 28 millimètres de chaque côté et de nouveaux pare-chocs (avec antibrouillards intégrés à l’avant). Par rapport à une 300E « normale », les roues passent à 16 pouces et la hauteur de caisse est abaissée de 23 millimètres. Afin de gagner de la place et d’améliorer la répartition du poids, la batterie migre dans le coffre. À l’intérieur, peu de changements en comparaison d’une 300E si ce n’est la présence de beaux sièges baquets Recaro… que l’on retrouve aussi à l’arrière, le volumineux différentiel empêchant l’installation d’une banquette classique.
CompliquéÀ cause des ailes sous stéroïdes, Mercedes réalise que la 500E ne passe pas sur les chaînes d’assemblage de l’usine de Sindelfingen, laquelle tourne déjà à plein rendement. Là encore, Porsche est bien content de prendre le contrat de production… qui va s’avérer complexe. Des caisses en blanc de 300E partent de chez Mercedes vers l’usine Porsche de Zuffenhausen, situé à une trentaine de kilomètres, dans le bâtiment « Reutter-Bau » où étaient assemblées peu de temps avant les Porsche 959. Là, toute la tôlerie est modifiée. Puis, les autos repartent vers Sindelfingen pour être peintes, Mercedes tenant à garder un contrôle total sur la qualité de la peinture. S’il s’agit d’une 400E, l’auto reste sur place mais s’il s’agit d’une 500E, elle repart à Zuffenhausen, cette fois-ci dans le bâtiment « Rössle-Bau », pour l’assemblage final (mécanique, intérieur, finition). Enfin, les 500E repartent pour Sindelfingen pour le contrôle qualité et la préparation à la livraison. Si la fabrication d’une 300E demande trois jours du premier pli de tôle jusqu’à la sortie de chaîne, celle d’une 500E en demande 18! Ce qui va avoir, comme nous allons le voir, un impact majeur sur le prix de l’engin.
Une main de fer dans un gant de veloursLa 500E fait sa première apparition publique au Mondial de l’automobile de Paris, en octobre 1990. Les livraisons en Europe commenceront quelques mois plus tard. En Amérique du Nord, elle arrive pour le millésime 1992, en même temps que la 400E. Au Canada, la 300E est proposée à 67 300 $ et la 400E à 74 500 $. La 500E demande, quant à elle, 107 500 $! C’est beaucoup, surtout en regard des 77 675 $ d’une BMW M5 manuelle. La 500E étonne néanmoins par ses performances de très haut niveau (vitesse limitée à 250 km/h, 0 à 100 km en 6,1 secondes), son compromis tenue de route/confort (même si la M5 reste un peu plus joueuse) et sa facilité d’utilisation au quotidien.
La carrière de la 500E ne connaîtra pas de grands changements. Le V8 descend à 315 chevaux pour l’année modèle 1993 afin de mieux passer les normes de pollution. Le millésime 1994 bénéficie d’un léger restylage et les W124 deviennent officiellement des Classe E. La 500E devient alors E500 (la 400E est dénommée E420) et reçoit de plus gros freins, courtoisie de la SL600, ainsi qu’un autoradio Alpine. Il s’agit là de sa dernière année de commercialisation en Amérique du Nord. Pour l’Europe, la production perdure jusqu’en avril 1995. Mercedes met alors en vente une série limitée, baptisée logiquement Limited et dotée de roues EVO-II en 17 pouces, d’une finition en cuir spécifique et de bois d’érable. Initialement prévue à 500 exemplaires, elle sera finalement écoulée à 951 exemplaires. À noter qu’AMG mettra aussi son nez sous le capot de la 500E en y installant un V8 de 6,0 litres développant 381 chevaux. La compagnie construira 45 E60.
La 500E aura au total été produite à 10 479 exemplaires, comprenant 1 528 véhicules pour les États-Unis et 45 pour le Canada. Dotée d’une belle réputation de fiabilité (si minutieusement entretenue), elle est aujourd’hui recherchée par les collectionneurs, qui considèrent qu’il s’agit de l’une des meilleures berlines de l’histoire de l’automobile. Lorsque les Classe E W124 seront remplacées par les W210, les versions sportives seront fournies par AMG (E36, E50, E55, E60 selon les marchés). Mais elles ne laisseront pas d’impressions aussi fortes. Peut-être parce que les W124 sont les dernières Mercedes à être conçues comme des chars d’assaut ou bien peut-être parce qu’il y manque la petite touche Porsche…
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Source : GuideautoWeb.com, par Hughes Gonnot
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