La « traction avant » offre de nombreux avantages en matière de stabilité et de motricité. Mais pour General Motors, le développement de sa première auto à roues avant motrices était d’abord et avant tout une ruse commerciale.
C’est au milieu des années 70 que la traction avant connaîtra finalement un succès grand public en Amérique du Nord. Pourtant, plusieurs tentatives ont eu lieu avant la Seconde Guerre mondiale. On pense notamment aux Cord L29 (1929 à 1932, 4 400 exemplaires) et 810/812 (1936 à 1937, 2 972 exemplaires). Mais à partir de là, plus rien. Enfin, presque…
Quand ça ne marche pas du premier coup, persévérez!Paradoxalement, c’est le succès d’une voiture à moteur arrière, la Volkswagen Beetle, qui poussera GM à faire ses premiers développements sur la traction avant. À partir de 1957, l’entreprise prépare un trio de compactes pour 1961 (Pontiac Tempest, Oldsmobile F-85 et Buick Special). Chez Oldsmobile, les ingénieurs Andrew K. Watt et John Beltz pensent que la traction avant serait idéale pour ce projet puisqu’elle libère davantage d’espace pour les passagers. Dès 1958, ils évaluent différentes solutions et début 1960, un prototype roulant est testé. GM décide de rester sur une architecture à propulsion pour ses compactes pour des raisons de coût. Beltz va alors essayer une autre approche à partir de 1962.
À ce moment, Oldsmobile est vue comme la division la plus innovante de GM (boîte automatique Hydra Matic en 1940 et moteurs à haute compression Rocket en 1949). Toutefois, la marque a un problème : elle n’a rien pour faire face à la Ford Thunderbird et la future Buick Riviera, qui doit être lancée pour le millésime 1963. Ed Cole, vice-président responsable des autos et camions, aime l’idée d’une Oldsmobile et d’une Cadillac dans ce segment car cela permettrait de partager les coûts de développement et d’outillage sur trois divisions. Il voit la traction avant d’un bon œil du fait qu’une étude a montré que les acheteurs de véhicules de luxe sont à la recherche d’éléments qui leur permettent de se démarquer. Personne ne fabrique de tractions avant, c’est parfait. Le projet de la plate-forme E est approuvé (en définitive, Buick décidera de rester à la propulsion et la Riviera ne passera à la traction avant qu’en 1979).
En parallèle, le studio de design d’Oldsmobile a commencé à réaliser des dessins prospectifs en prévision d’un futur véhicule à traction avant. Début 1962, alors que les designers venaient de finir les modèles 1964, la direction du studio lance un concours interne pour stimuler leur créativité. Un coupé au long capot, à l’arrière plongeant et avec de larges passages de roue - développé par David North - fait une forte impression. L’auto est baptisée « flame red car » ( les dessins sont rouges sur un fond noir). Lorsque le projet de plate-forme E est avalisé, Bill Mitchell, vice-président responsable du design de GM, pense immédiatement à l’auto rouge. Le concept final est validé par la direction en février 1963. Il est resté étonnamment proche du tout premier croquis.
Les ingénieurs ont ressorti leurs études pour les compactes de 1961. Cette fois-ci, il s’agit de transmettre la puissance d’un V8 de 425 pouces cubes (7,0 litres), ce qui n’est pas une mince affaire (toutes les tractions avant européennes alors en vente ont des petits moteurs en comparaison). Le V8 est installé longitudinalement dans le châssis. La boîte automatique, baptisée TH-425, utilise essentiellement les composants internes de la TH-400 mais, par rapport à une boîte automatique classique, elle est séparée en deux morceaux pour pouvoir faire rentrer l’ensemble motopropulseur sous le capot. Le convertisseur de couple est placé en sortie de vilebrequin. La puissance est alors transmise au reste de la boîte (rapports de vitesse et différentiel) logée sous le banc de cylindres gauche du moteur par une par chaîne de deux pouces de large. Le développement de cette chaîne a été particulièrement complexe pour atteindre les objectifs de fiabilité et de silence de fonctionnement. L’ensemble moteur/transmission est appelé UPP (Unitized Power Package).
Afin de passer sous le capot, le carburateur et le collecteur d’admission du 425 pc, présenté en 1965, sont redessinés alors que les collecteurs d’échappement sont revus pour laisser de la place aux suspensions. Et justement, les suspensions offrent des solutions peu courantes : barres de torsion longitudinales avec barre antiroulis renforcée à l’avant et essieu rigide à l’arrière mais supporté par 4 amortisseurs. Les freins sont à tambour aux 4 roues (dont les formes sont censées rappeler celles des Cord 810/812). La direction est assistée d’origine. La répartition du poids est relativement équilibrée avec 54% sur l’avant et 46% sur l’arrière.
Le projet XP-784 avance bien et il reste à le valider. Un prototype est présenté à la direction de GM sur la piste d’essai de Mesa, en Arizona, en février 1964. Il s’agit d’une carrosserie de Starfire avec un soubassement traction avant. Les tests se passent très bien et le modèle est approuvé pour le millésime 1966. Oldsmobile manquait de capacité de production dans son usine de Lansing, dans le Michigan. Il fut donc décidé de fabriquer les carrosseries à l’usine Fisher de Cleveland, dans l’Ohio, et de les expédier par camion à Lansing (à 375 kilomètres) pour l’assemblage final, la construction semi-monocoque facilitant (un peu) cet arrangement.
Fin 1964, les essais routiers vont bon train mais l’auto n’a toujours pas de nom. Sont suggérés Cirrus, Scirocco et Magnum… qui seront respectivement utilisés plus tard par Chrysler, Volkswagen et Dodge. Finalement, ce sera Toronado, d’après un nom déposé par Chevrolet en 1963 pour un véhicule concept montré à l’Exposition universelle de New York en 1964.
En demi-formeLa Toronado est annoncée officiellement au mois de juillet 1965 et est commercialisée le 14 octobre 1965. Deux modèles sont disponibles : standard (V8 de 385 chevaux, boîte automatique, freins assistés, horloge électrique, banquette avant, essuie-glace deux vitesses) et Deluxe (sièges style baquet « Strato » avec accoudoir central, chromes supplémentaires), vendus respectivement 4 366 USD / 6542 CAD et 4410 USD / 6777 CAD. La presse de l’époque apprécie la stabilité et la motricité de l’auto, le plancher avant plat, signe d’espace, et trouve que le sous-virage est tout à fait maîtrisé mais elle est par contre unanime sur la faiblesse des freins à tambour. La Toronado reçoit malgré tout le titre de « Voiture de l’année 1966 » du magazine Motor Trend qui déclare l’auto « remarquable et hautement perfectionnée… destinée à devenir un classique dans son époque ». Plus étonnant, elle finira troisième au classement de la « Voiture européenne de l’année 1966 ». La clientèle réagit positivement et 40 963 Toronado sont fabriquées (6 333 standard et 34 630 Deluxe) mais c’est en deçà des projections d’Oldsmobile (50 000 exemplaires par an). Cela ne suffit pas à inquiéter la Thunderbird, qui est pourtant dans la dernière année de sa quatrième génération (64 127 coupés), ni même la Riviera (45 348 exemplaires), renouvelée pour 1966.
Le millésime 1967 apporte un lot limité de changements, mais certains sont très importants comme l’ajout en option des freins à disque à l’avant et des pneus radiaux. Les phares sont maintenant affleurants et la calandre avant est en forme de grillage. La suspension est revue pour plus de confort, l’ouverture des portes reçoit une assistance par ressorts et parmi les nouvelles options on retrouve la radio avec lecteur 8 pistes, les ceintures de sécurité 3 points et des sièges baquets avec console centrale (ce qui va un peu à l’encontre de l’idée de départ…). Les ventes baissent de presque 47% à 21 790 exemplaires (1 770 standard et 20 020 Deluxe) tandis que la Riviera se maintient bien (42 799 exemplaires) et que la Thunderbird renouvelée se porte comme un charme (52 989 coupés plus 24 967 du nouveau modèle 4 portes). Peut-être est-ce dû à l’apparition de la nouvelle Cadillac Eldorado (traction avant elle aussi mais vendue sensiblement plus cher et écoulée à 17 930 exemplaires)?
La Toronado subit un restylage important pour 1968. Les phares passent derrière des grilles escamotables au dessin de nid d’abeille et les clignotants s’étendent jusque sur les côtés. Le moteur monte à 455 pouces cubes de cylindrée (7,5 litres) et développe 375 chevaux (400 chevaux avec le nouvel ensemble optionnel W34 qui comprend aussi l’induction d’air frais, une ligne d’échappement à plus faible restriction et une transmission automatique recalibrée). La finition Custom remplace la Deluxe et un toit vinyle est ajouté en option. Les ventes remontent un peu (26 454 exemplaires dont 3 957 standard et 22 497 Custom) mais les Riviera (avec 49 284 exemplaires) et Thunderbird (avec 43 006 coupés et 21 925 4 portes) restent confortablement devant. Même l’Eldorado se vend presque aussi bien (24 528 exemplaires)!
Pour le millésime 1969, c’est l’arrière qui est profondément revu. La forme des ailes est rehaussée afin d’atténuer l’effet fastback et le coffre est allongé de presque 9 centimètres pour offrir plus d’espace. Les ingénieurs recalibrent les supports moteur, les amortisseurs et ressorts et ajoutent plus de matériaux insonores pour plus de raffinement. Les ventes progressent encore (28 494 exemplaires, dont 3 421 standard et 25 073 Custom), mais cela ne suffit pas face à des Buick Riviera (52 872 exemplaires) et Cadillac Eldorado (23 333 exemplaires) en pleine forme ni devant une Thunderbird en perte de vitesse (33 577 coupés et 15 695 4 portes).
Même si 1970 est le dernier millésime de cette génération de Toronado, les changements ne manquent pas : nouvelle calandre avec phares apparents, passages de roue moins arrondis, freins à disque de série, planche de bord revue et nouvel ensemble GT (sièges spéciaux, console centrale, logos GT, fabriqué à moins de 1 000 exemplaires). La production s’établira à 25 433 exemplaires (2 351 standard et 23 082 Custom) contre 37 366 Riviera, 23 842 Eldorado et 50 364 T-Bird (41 963 coupés et 8401 4 portes).
La Toronado n’a pas rencontré la carrière escomptée par Oldsmobile mais l’amortissement de l’investissement de la plate-forme E sur 3 marques et le succès des Riviera et Eldorado font qu’elle connaîtra une nouvelle génération en 1971. Mais ceci est une autre histoire…
4 pour 100!Les Toronado les plus rares et les plus exclusives ont été construites pour célébrer les 100 ans du Canada. Nous sommes en 1967 et l’Exposition universelle de Montréal attire des Canadiens de tous les coins du pays, souvent par la route. La compagnie Esso organise alors un concours avec des prix instantanés à gagner ainsi que 4 autos en tirage au sort.
Et pas n’importe quelles autos! Des Oldsmobile Toronado personnalisées par Georges Barris (basé en Californie et surtout connu pour la Batmobile) et appelées 67-X.
Ce dernier a allongé l’empattement de 38 centimètres et porté la longueur hors tout à 6,12 mètres. La carrosserie exclusive est en fibre de verre. À l’intérieur, on retrouve un siège conducteur rotatif, deux radios FM avec casques, un réfrigérateur, une banquette spéciale, une tablette pour jouer, des éclairages uniques et plus encore… Les autos seront gagnées lors de 4 tirages au sort et partiront vers Edmonton (Alberta), Okanagan Landing (Colombie-Britannique), Québec et Thunder Bay (Ontario). Chaque voiture venait avec l’essence et l’huile gratuites, l’entretien et l’assurance pendant un an. Aujourd’hui, seule la 67-X gagnée à Québec a disparu des radars. Celle de Colombie-Britannique est fonctionnelle et a été exposée au Royal British Columbia Museum, à Victoria, en 2017, pour les 150 ans du Canada. Juste retour des choses!
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Source : GuideAutoWeb.com, par Hughes Gonnot
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