Imaginez que vos parents vous déposent à l’entraînement dans une minifourgonnette rouge flash qui vrombit comme une Lamborghini Countach. Avouez que ça aurait autrement plus d’allure que les Dodge Caravan ou Ford Aerostar de l’époque…
À la fin des années 70, de chaque côté de l’Atlantique, deux hommes observent les changements démographiques et arrivent aux mêmes conclusions presque au même moment : le marché a besoin d’un véhicule capable d’accueillir jusqu’à 7 personnes mais pas plus grand qu’une auto conventionnelle. En Amérique, c’est Lee Iacocca, le PDG de Chrysler, qui lancera le duo Dodge Caravan et Plymouth Voyager en novembre 1983. En Europe, c’est Philippe Guédon, le PDG de Matra, qui réussira à vendre son idée à Renault et présentera l’Espace en avril 1984. Quand ces deux véhicules vont être commercialisés en grandes quantités et s’avérer très rentables pour leur constructeur respectif, tout le monde va vouloir suivre. La décennie 80 va devenir celle des minifourgonnettes (ou des monospaces en Europe).
Au feu ! Après avoir frôlé la mort en 1979 et s’en être sortie grâce à un prêt fédéral, Chrysler recouvre rapidement une santé financière grâce aux K-Cars. La marque rembourse son prêt en avance en 1983 et Lee Iacocca se retrouve alors avec le plus beau des problèmes : une montagne d’argent qui commence à lui brûler les poches. Et ça ne va pas s’arrêter là, la corporation profitant de la vente des minifourgonnettes. Il se lance dans toutes sortes de projets : la désastreuse Chrysler TC by Maserati, l’achat du fabricant d’avions Gulfstream (pourquoi?) et de son concurrent AMC (une bonne idée, car Chrysler récupérait alors la très profitable Jeep). Et parmi ces énormes acquisitions, Iacocca signe un petit (en proportion) chèque de 25 millions de dollars pour une compagnie qui parle à ses origines italiennes : Lamborghini.
Le fond… Avant d’être une branche lucrative de l’empire Volkswagen, Lamborghini a connu une existence pour le moins chaotique. Après la vente de ses actions par son fondateur, Ferruccio Lamborghini, en 1972, la marque vivotera sous la direction de René Leimer et Georges-Henri Rossetti. Ces derniers n’arriveront pas à la redynamiser et la production sombrera : 68 exemplaires en 1978, 55 en 1979 et 64 en 1980. Lamborghini est déclarée en faillite en 1978. Finalement, les frères Mimram en prennent le contrôle en 1980. La situation s’améliore mais, avec une production de 255 exemplaires en 1985 et 238 en 1986, la compagnie est loin d’être bénéficiaire. Entrent alors en jeu les Américains.
La touche turinoise Tout cela ne fait pas très plaisir à Guiseppe « Nuccio » Bertone, patron de la Carrozzeria Bertone, établie en 1912. Fils du fondateur Giovanni Bertone, il en prendra la tête en 1946. Sous sa direction, la firme va connaître une incroyable croissance dans les années 60, 70 et 80. Elle aura d’ailleurs de la difficulté à survivre suite à la disparition de ce dernier, en 1997, mais ceci est une autre histoire. En plus d’être un excellent designer, un dénicheur de talents hors pair (c’est lui qui a découvert Giorgetto Guigiaro et Marcello Gandini), Bertone est un fin politicien. Il a réussi à lier des contacts lucratifs avec de nombreux constructeurs européens et japonais. Il voit l’arrivée de Chrysler, qui possède ses propres bureaux de design, comme une fin potentielle à sa collaboration historique avec la marque au taureau (c’est Bertone qui a signé les Miura, Countach, Espada, Jarama, Urraco et ses dérivés), grosse génératrice d’image pour le carrossier. Et quelle meilleure façon de se faire remarquer par Chrysler que de créer une minifourgonnette hors norme ?
Des proportions spectaculaires Nuccio Bertone charge alors son directeur du style, Marc Deschamps, de créer un tel modèle. Deschamps est probablement l’un des designers les plus importants des dernières décennies dont vous n’avez jamais entendu parler. Celui-ci a travaillé pour Simca, Peugeot et Renault (où il a signé les lignes de la Renault 5 Turbo à moteur central arrière). Entré une première fois chez Bertone en 1972, il y reviendra en 1979 en tant que directeur du style, après le départ de Marcello Gandini. Il y créera de formidables concepts (Chevrolet Ramaro, Lamborghini Athon, Citroën Zabrus) et quelques autos de série (Citroën BX et XM, Volvo 780). Il partira en 1990 pour travailler chez Coggiola puis Heuliez avant de monter son propre bureau de design en 2000.
Deschamps essaye de sortir du design classique des minifourgonnettes, c’est-à-dire en forme de boîte, en jouant avec les surfaces vitrées et en offrant un arrière plongeant. Certains aiment, d’autres moins… Ce qui frappe aussi, ce sont les proportions de l’engin. Les sièges conducteurs et passagers sont extrêmement avancés (en fait, les jambes passent en haut des roues avant) et sont placés presque au-dessus du moteur, autorisant un porte-à-faux avant réduit. Ces sièges possèdent un dossier mobile qui peut se tourner vers la cabine. Le siège central est rotatif sur 180 degrés. Quant aux deux places arrière, elles bénéficient de réglages électriques. Tous sont recouverts d’Alcantara. L’intérieur est dessiné par Eugenio Pagliano.
Si l’accès à l’habitacle se fait à l’arrière par des portes coulissantes traditionnelles, l’accès avant est moins conventionnel. Il faut en effet ouvrir des portes en élytre articulées sur un montant central. Chacune intègre une vitre latérale et la moitié du pare-brise. Le conducteur a alors sous les yeux un volant monobranche (à la Citroën) et une vaste console centrale, nécessaire pour cacher le plat de résistance : un V12 Lamborghini de 5,2 litres développant 455 chevaux, provenant des Countach LP5000 Quattrovalvole. La boîte de vitesses est moins enthousiasmante : une automatique Torqueflite A727 à 3 rapports fournie par Chrysler. Évidemment, les roues arrière sont motrices. Le produit final mesure 4,47 mètres de long, 2,0 mètres de large, pèse près de 1 800 kilos et précisons qu’il est roulant.
Triste épilogue Après environ 30 000 heures de travail (entre le design et la fabrication), le concept Genesis est dévoilé le 21 avril 1988 au Salon de Turin, sur le site du Lingotto, qui est une ancienne usine Fiat. Il fait tourner les têtes et fait couler beaucoup d’encre dans la presse… mais ne parvient pas à remplir sa mission. En effet, Bertone ne signera plus jamais une nouvelle Lamborghini de série. Quant à Lamborghini elle-même, Chrysler ne saura jamais vraiment quoi en faire et s’en séparera en 1994, à une époque où elle avait (encore une fois) désespérément besoin de liquidités. Il faut cependant avouer que la Genesis reste encore aujourd’hui la seconde minifourgonnette la plus dingue de l’histoire, juste derrière la Renault Espace F1 (avec un V10 de formule 1 de 780 chevaux placé dans l’habitacle en position centrale arrière).
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Source : GuideAutoWeb.com, par Hughes Gonnot
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