Les années 80 n’ont pas été tendres avec Cadillac : la Cimarron, l’Allanté, les désastreux V8-6-4, les horribles moteurs diesel… Tout ça, et plus encore, a terni l’image de la vénérable marque américaine. Cette décennie a aussi vu la montée en puissance des constructeurs de luxe européens. Et les années 90 ne commençaient guère mieux avec l’arrivée de Lexus et d’Infiniti (sans oublier Acura en 1986). Bref, il fallait faire quelque chose!
L’Europe fait traditionnellement la distinction suivante : d’un côté les constructeurs généralistes, de l’autre les spécialistes (lire marques de luxe ou de sport). Dans les années 70 et 80, pratiquement tous les généralistes possèdent une berline pleine grandeur dans leur gamme : Ford Granada puis Scorpio, Renault 30 puis 25, Peugeot 505 et 604, Fiat Argenta puis Croma… Chez Opel, le haut de gamme était occupé par le trio Rekord, Commodore, Senator. Ce sont de bonnes berlines solides mais très conventionnelles.
En 1986, Opel entend casser cette image et lance une auto dessinée en soufflerie. Afin de signaler la rupture, le nom change et l’Omega remplace les Rekord et Commodore (la Senator sera renouvelée en 1987 sur la même base). Elle remporte le titre de « Voiture européenne de l’année 1986 » et un joli succès commercial.
C’est avec une certaine confiance qu’Opel la remplace en 1994 avec l’Omega B. Le fait que la Senator ne soit pas reconduite montre déjà que quelque chose est en train de se passer. À la fin de la décennie 90, les généralistes ont pratiquement tous abandonné le segment ou sont sur le point de le faire. Le trio allemand du luxe (Audi, BMW, Mercedes) a tout raflé. L’Omega terminera sa carrière en 2004 dans une indifférence quasi généralisée.
Beau ? Bien ? Pas cher !Face à ce trio, Cadillac fait pâle figure, notamment auprès des jeunes acheteurs. La moyenne d’âge des clients augmente régulièrement, ce qui n’est jamais un bon plan d’affaires. Les dirigeants de la division de GM cherchent donc une solution. Et puisque ce sont les Allemands qui ont phagocyté leurs parts de marché, pourquoi ne pas bénéficier des vastes ressources internationales de la compagnie et faire venir un véhicule d’Allemagne? L’Omega B a plutôt bonne presse, c’est une propulsion, elle a un V6 (le 4 cylindres de la Cimarron a laissé des traces dans les mémoires). Bingo!
Cadillac montre un concept, baptisé LSE (pour Luxury Sedan Euro-Style), au Salon de l’auto de Detroit en janvier 1994. À part la grille avant, les feux arrière, les roues, les pare-chocs et l’installation de logos adéquats, pas de gros changements par rapport à l’Opel Omega MV6 (au sommet de la gamme européenne). Pourtant, il faudra attendre l’automne 1996 pour que la version finale arrive sur le marché.
Les différences entre la LSE et la Catera sont subtiles, la plus importante étant à l’arrière où un bandeau lumineux sur toute la longueur est maintenant monté. Vous pouvez voir ci-dessous les quelques distinctions entre une Omega et une Catera.
Techniquement, elle fait appel au V6 multisoupapes L81 (nom américain du X30XE fabriqué à Ellesmere Port, en Angleterre) de 3 litres et à une boîte automatique 4 vitesses 4L30E (manufacturée à Strasbourg, en France). L’auto vient de l’usine Opel de Rüsselsheim, en Allemagne.
L’équipement est relativement complet : 4 freins à disque avec antiblocage, contrôle de traction, climatisation automatique deux zones avec filtre à pollen, sièges avant et arrière chauffants (au Canada), vitres électriques, verrouillage central et radio AM/FM à huit haut-parleurs et lecteur de cassettes. Il faut payer un supplément pour avoir les sièges en cuir, les roues chromées, le toit ouvrant électrique ou le changeur de CD (12 disques).
Sur papier, la Catera offre une puissance décente. Mais c’est lorsqu’on la compare à ses concurrentes directes que quelque chose commence à clocher. Voici les chiffres indiqués dans l’édition 1998 du Guide de l’auto :
La Cadillac est la plus lourde et la moins rapide pour le 0 à 100 km/h. Toute sa carrière, les essayeurs de nombreux journaux demanderont qu’elle fasse un régime. Nombre d’entre eux lui reprocheront aussi ses lignes quelconques (il paraît que des clients potentiels la confondaient parfois en concession avec la Chevrolet Malibu).
Par contre, la tenue de route sera généralement appréciée, ainsi que l’habitabilité. Tous les chroniqueurs ne seront pas d’accord sur l’agrément de la direction.
Ziggy, il s’appelle Ziggy… Par contre, là où les journalistes sont sur la même longueur d’onde, c’est que la marche va être haute pour Cadillac. Dans son édition 1997, le Guide de l’auto résume parfaitement la situation : « Le plus difficile reste à faire. Il n’est pas évident que Cadillac réussira à convaincre les gens que la Catera est une voiture intéressante. Si elle y parvient, ce sera le tour de force de la décennie dans le domaine du marketing automobile. Qu’on le veuille ou non, une Mercedes ou une BMW impressionne davantage la galerie. » Autant dire que la promotion devra être sur la coche!
Vous imaginez venir le désastre… Observez le logo traditionnel de Cadillac de l’époque (basé sur le blason de la famille d’Antoine de la Mothe-Cadillac, fondateur de Detroit) et vous y verrez 6 oiseaux. L’agence de publicité de la marque n’a rien trouvé de mieux que d’en transformer un en cartoon, de le nommer Ziggy et d’en faire la mascotte de la Catera.
Sur la brochure américaine, on peut lire : « Il est né en Allemagne. Sa mission est de faire zigzaguer Cadillac dans une toute nouvelle direction. Ce fougueux ami à plumes symbolise le nouvel esprit de Catera. Légèrement sophistiqué, toujours irrévérencieux, il présente une toute nouvelle génération de luxe pour une toute nouvelle génération de conducteurs. Venez faire un tour, ça va être amusant ».
Ah là, là, qu’est-ce qu’on se marre! Heu… Ceux qui ne se sont pas amusés, ce sont les propriétaires.
Le bal des occasions manquées Sur son site, Consumer Report explique simplement : « C’était une bonne voiture, mais en proie dès le départ à des problèmes de fiabilité ». Des problèmes, la Catera va en connaître : diverses fuites d’huile et de liquide de refroidissement, problèmes du capteur de position du vilebrequin, fuites de pompe à eau… Le plus courant était la défaillance de la poulie du tendeur de courroie de distribution.
Quand elle lâchait, les dégâts allaient de soupapes tordues à une mort subite du moteur. Lorsque tout cela s’est su, la valeur de revente a fait le plongeon et au moment où les retours de location ont commencé, GM s’est retrouvée avec de sérieuses difficultés pour revendre les autos.
Mais tout ça, c’est pour plus tard. Dès 1998, Cadillac fait évoluer son modèle : le système ABS/ESC est amélioré, trois couleurs sont ajoutées, de nouvelles radios apparaissent. En cours de millésime 1999, la Catera reçoit un ensemble optionnel Sport qui comprend la suspension ZJ1 (ressorts et amortisseurs plus fermes, contrôle de niveau automatique), des roues 16 pouces spécifiques et un choix de trois couleurs extérieures. En mars 1999, au Salon de l’auto de Chicago, Cadillac dévoile un concept de Catera survitaminée.
Conçue par le préparateur allemand Steinmetz, spécialisé dans les Opel, elle embarque sous sa couleur orange des roues de 18 pouces, une suspension rabaissée et un V6 dopé par compresseur, développant dorénavant 284 chevaux. Cadillac n’a jamais eu l’intention de la commercialiser. La marque aurait même pu aller encore plus loin, car Opel avait glissé un V8 LS1 de 5,7 litres sous le capot de l’Omega (ce modèle a failli être vendu en Europe) et les dérivés australiens basés sur la même plate-forme accueillaient eux aussi de gros blocs. Une occasion manquée…
L’Omega subit un discret restylage en Europe pour le millésime 2000 (faciès avant et arrière redessinés, nouvelle console centrale) et la Catera en bénéficie. Mais à ce moment-là, les ventes sont déjà en baisse et les modifications n’arrangent que très légèrement la situation.
Les problèmes de fiabilité sont maintenant connus et la carrière de la Catera s’arrête à la fin de l’année modèle 2001. Au total, 94 994 véhicules auront été vendus aux États-Unis (les 208 dernières Catera seront écoulées en 2003).
La volonté de Cadillac de faire vite, pas cher mais pas forcément bien lui aura coûté le prix fort. Cependant, l’histoire de la Catera a un épilogue heureux : elle aura forcé les dirigeants de GM à démarrer un véritable plan de revitalisation de la marque avec un vrai budget, un nouveau langage stylistique et de nouveaux modèles enfin spécifiques.
Nous verrons les premiers résultats de cet effort avec la CTS, lancée au millésime 2003. Si Cadillac est encore là aujourd’hui, c’est un peu grâce à Ziggy…
-----
Source : GuideAutoWeb.com, par Hughes Gonnot
-----