San Sebastian, Espagne/Pays basque – Bousculé par la vague d’électrification qui déferle sur le monde et l’industrie de l’automobile, Jaguar a confirmé que sa gamme entière allait être composée exclusivement de véhicules électriques dès 2025. Sans surprise, cette marque vénérable annonçait du même coup qu’elle allait supprimer toutes ses séries à moteur thermique. Parmi elles, la sportive F-Type qu’elle raffine soigneusement depuis une décennie.
Dévoilée en 2013, la F-Type a donné un sérieux coup de jeune à Jaguar, qui en avait grand besoin. Prenant le relais de la XK qui besognait depuis 2006, la F-Type affichait des lignes élégantes et modernes, qui n’avaient plus rien de rétro. Elle proposait le comportement et les performances relevées que méritait cette silhouette d’exception.
L’année suivante, un coupé F-Type vint rejoindre la décapotable. Au fil du temps, Jaguar multiplia les variantes, ajoutant un quatre cylindres turbo, une boîte manuelle et un rouage intégral aux V8 et V6 surcompressés dont était dotée la F-Type au premier jour. Aux yeux de plusieurs, sinon de tous, elle était la véritable héritière de la légendaire E-Type des années 60 et son nom confirmait que les artisans de Jaguar en étaient conscients.
Pour présenter celles qui vont mettre le point final à 75 années d’autos sport à essence, Jaguar a choisi les mêmes régions du nord de l’Espagne qu’au lancement des premières F-Type, dix ans plus tôt. Quelques-uns des journalistes qui allaient les conduire, sur la crête des Pyrénées, étaient aussi les mêmes. Dont celui qui écrit ces lignes et son complice de toujours, le collègue torontois Jim Kenzie.
Mais d’abord, survolons rapidement une aventure qui s’étend sur trois quarts de siècle, jalonnée par les coups d’éclat et les exploits de voitures parmi les plus célèbres et adulées de l’histoire de l’automobile.
Des Britanniques inspirésJaguar est entré dans l’histoire de l’automobile par la grande porte, grâce à ses voitures sport, dans les années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale. D’abord avec la XK120, lancée en 1948, dont la svelte carrosserie d’aluminium enveloppait le nouveau moteur XK qui en faisait la voiture de série la plus rapide de son époque. L’appellation XK120 évoquait une vitesse de pointe promise de 120 mi/h (ou 193 km/h) mais le bolide pouvait atteindre 132 mi/h (212 km/h) sans peine.
Aussi belle que rapide, la XK120 devint instantanément populaire et connut beaucoup de succès en course et en rallye. Et ce n’était qu’un début. Une Jaguar XK120C décrocha la victoire aux 24 Heures du Mans en 1951 à sa première participation. Mieux connue sous le nom de C-Type, elle remporta à nouveau cette course d’endurance mythique en 1953 en plus de terminer aux 2e, 4e et 9e rangs. Cette version était dotée d’une carrosserie en aluminium plus légère et aérodynamique, d’un moteur plus puissant et surtout des premiers freins à disque, installés aux quatre roues. Une innovation majeure pour l’automobile.
Jaguar fit encore mieux avec sa D-Type, qui roula aux 24 Heures du Mans en 1955, 1956 et 1957. Ce pur-sang se démarquait nettement par l’aileron vertical qui se dressait derrière le poste de pilotage pour assurer sa stabilité sur l’interminable ligne droite de Mulsanne, dévorée à 280 km/h. Il profitait également d’une carrosserie autoporteuse révolutionnaire en alliage de magnésium et d’un six cylindres à double arbre à cames en tête plus puissant, lubrifié par carter sec.
Pendant tout ce temps, des XK120, XK140 et XK150 de série toujours plus puissantes et rapides profitaient amplement des victoires et de la renommée de leurs sœurs.
Coups de maître et longue traverséeAprès s’être illustré au Mans pendant les années 50, le manufacturier sortit une voiture sport qui allait marquer son époque, à l’amorce de la décennie suivante. Largement inspirée par la glorieuse D-Type, la Jaguar E-Type fit une entrée spectaculaire au Salon de Genève, en mars 1961. Coup d’audace typique, une des deux voitures dévoilées au salon avait été conduite la veille, de l’Angleterre à la Suisse, par l’ingénieur et pilote d’essai Norman Dewis. Un périple de dix-sept heures, avalé d’un trait.
Après ces débuts pleinement réussis, la E-Type fut produite de 1961 à 1974. Au coupé et au roadster des débuts s’ajoutèrent des versions allongées et 2+2. Les six cylindres en ligne de 3,8 et 4,2 litres furent remplacés, pour la troisième et dernière série, par un V12 de 5,3 litres. Maintes fois qualifiée de « plus belle voiture jamais créée », la E-Type fut la première à enrichir la collection permanente du prestigieux Museum of Modern Art de New York, en 1996.
Montée sur la plate-forme de la grande berline de Jaguar, la XJ-S fut une bien pâle héritière pour l’éblouissante E-Type. Longue, lourde et empâtée, elle fut néanmoins fabriquée de 1975 à 1996, la plus longue carrière chez ce constructeur. Le salut et la renaissance apparurent en 1997 sous les traits élancés de la XK8, dont la calandre en ovale allongé était un clin d’œil et un hommage à la E-Type. Cette Jaguar plus sportive était propulsée par le premier V8 de la marque, l’excellent AJ8 à double arbre à cames en tête.
Cette série fut redessinée et relancée en 2006, grâce à une nouvelle XK à structure et carrosserie en aluminium plus grande et néanmoins plus légère et performante. La table était mise pour la venue de la F-Type, huit années plus tard.
Des bêtes fabuleuses à leur apogéeLa F-Type a été ramenée à sa plus simple expression pour son ultime tournée. Les F-Type 75 et F-Type R 75 sont offertes en coupé ou décapotable, animées par un V8 surcompressé de 5 litres qui fournit 444 chevaux aux premières et 567 chevaux aux secondes. Les deux moteurs sont mariés à une boîte automatique à 8 rapports et au rouage intégral. Les connaisseurs et collectionneurs apprécieront les détails discrets qui soulignent le statut de ce dernier millésime. Surtout la silhouette unique, gravée en deux traits sur le tableau de bord et les seuils en inox.
Après une décennie de développement, les ingénieurs se sont appliqués à retoucher et raffiner la suspension et la direction, dans le détail. En outre, ils ont équipé les F-Type R 75 de pneus plus larges, montés sur des jantes à dix rayons tandis que celles des F-Type 75 en ont cinq. On goûte et apprécie clairement leur travail au volant des deux versions.
Sur quelque 800 kilomètres de magnifiques routes basques et catalanes, les dernières F-Type brillent de tous leurs feux. À tout moment, leur aplomb est sans faille. Jamais le moindre sous-virage, avec les 9/10 du couple que le rouage intégral transmet aux roues arrière, elles-mêmes domptées par un différentiel autobloquant électronique à transfert de couple. Dommage que l’on ne nous offre pas la F-Type 75 en propulsion, puisque sa conduite et sa direction sont plus fines, avec 62 kilos en moins et des roues avant libres de toute force motrice.
Les deux finissantes rugissent avec une belle férocité et vous plaquent contre le dossier, à la moindre provocation du pied droit. La F-Type R 75 le fait juste un peu plus fort que sa sœur. Le couple fulgurant des moteurs électriques étourdit à tout coup mais rien n’égale le hurlement rauque d’un V8 bien accordé. Or, ceux des dernières F-Type ont certainement leur place au panthéon des belles mécaniques. Et le reste n’est pas mal non plus. Pour l’élégance mais également le confort, la position de conduite juste et la finition soignée. Il ne leur manque qu’une interface multimédia et des écrans plus « jazzés ».
Chose certaine, les F-Type R 75 et F-Type 75 ont droit, plus que toute autre Jaguar, à l’effigie noire de ce félin, gueule ouverte et crocs sortis, qui orne leur calandre. Après trois quarts de siècle, elles offrent à cette grande lignée de voitures sport une finale à la fois classique, réaliste et spectaculaire qui leur convient parfaitement. Avis aux intéressés!
-------
Source : GuideAutoWeb.com, par Marc Lachapelle
-------