On l’adore ou on la déteste! La troisième génération de Riviera est l’un des designs les plus controversés sortis sous l’ère de Bill Mitchell, directeur du style de GM de 1958 à 1977.
C’est déjà sous la direction de Bill Mitchell qu’était sorti le coupé Riviera de première génération, en réplique à la Ford Thunderbird 4 places lancée en 1958. Présenté pour le millésime 1963, il est considéré, y compris par des designers européens, comme un classique instantané et s’avère être un des modèles préférés de Mitchell dans toute sa carrière. Le véhicule est renouvelé pour l’année modèle 1966. Il grandit un peu (voir tableau ci-dessous) et les lignes, principalement réalisées par David Holls, deviennent plus courbes.
Et visiblement, elles plaisent puisque la production augmente de 31% entre 1965 et 1966. La seconde génération de coupé Buick séduit les acheteurs, atteignant son record de production en 1969, et ce, malgré le lancement des Oldsmobile Toronado en 1966 et de la Cadillac Eldorado en 1967. Les chiffres baissent en 1970, ce qui reste logique car le modèle en est à sa cinquième année sur le marché. Pour le millésime 1971, les Toronado, Eldorado et Riviera vont toutes les trois être révisées et Mitchell veut frapper un grand coup avec la Buick.
Un œil dans le rétroviseurPour un modèle aussi reconnu, il n’existe paradoxalement pas d’histoire claire de la genèse de son style. Après plusieurs recoupements, voici la plus probable. Né en 1912, Bill Mitchell est rentré chez GM en 1935. Il reste très marqué par les lignes des véhicules de son adolescence (Delage, Delahaye et Auburn 851 Speedster 1935 par exemple). Tous se distinguent par des ailes séparées et des arrières pointus (dits boattail ), vus comme plus aérodynamiques. Ce type de traitement se retrouvera en partie sur la Chevrolet Corvette 1963.
Mais Mitchell veut aller encore plus loin avec la Riviera. En 1968, il fait réaliser des esquisses par Don DaHarsh avec un arrière en pointe et une ligne de caractère descendant progressivement et remontant ensuite au-dessus des roues arrière. Satisfait par ce qu’il voit, il envoie le projet dans le studio dirigé par Jerry Hirshberg (qui quittera GM en 1980 pour devenir directeur d’un nouveau studio de design Nissan en Californie, il y restera 20 ans). Les designers avancent sur un concept validé à chaque étape par Mitchell, qui reste le vrai cerveau derrière les lignes de la boattail.
À ce moment, la Riviera doit reposer sur un châssis A modifié de format intermédiaire. En cours de développement, la direction de Buick demande à ce qu’elle repose plutôt sur le châssis B de modèles pleine grandeur et utilise les vitrages existants (seuls la vitre de custode et le pare-brise arrière pourront être changés). Ces contraintes ne sont pas du goût des designers, qui doivent adapter leurs travaux à de nouvelles dimensions. À l’interne, plusieurs trouvent le résultat final déséquilibré, y compris Hirshberg et Mitchell lui-même qui déclarera plus tard : « Ce qui a fait mal à la boattail, c’est de l’élargir. Elle est devenue si large qu’un hors-bord (speedboat) est devenu un remorqueur (tugboat) ».
Effectivement, par rapport aux deux générations précédentes, la nouvelle Riviera est plutôt un gros bateau : plus longue, plus large et plus lourde (voir tableau ci-dessous). Mais il faut aller de l’avant et le style final est gelé au courant de 1969.
Plus à l’aise sur la neige que dans les concessionsC’est Robert Kessler qui est à la tête de Buick durant le développement de la troisième génération de Riviera. Lee Mays le remplace en avril 1969. Lors du dévoilement de l’auto, le 22 septembre 1970, ce dernier déclare dans un communiqué de presse : « Ce nouveau design classique est un triomphe du style automobile et assurera à la Riviera de poursuivre sa réputation établie de leader dans le domaine des voitures personnelles de luxe ». Dans le privé, il déteste totalement les lignes de ce modèle. Les premiers véhicules arrivent en concession le 3 octobre 1970. À ce moment, Buick espère écouler 50 000 exemplaires par année. Mais cela commence mal, car une grève de l’UAW (syndicat des travailleurs de l’automobile) à l’automne 1970 bloque un temps la production.
Si la Riviera a pris de l’embonpoint, elle perd aussi en puissance. En effet, le taux de compression du 455 pc (7,5 litres) introduit en 1970 passe de 10,0:1 à 8,5:1 pour réduire les émissions polluantes (nous sommes au début des normes de pollution), ce qui a pour conséquence de ramener la puissance de 370 à 315 chevaux. Heureusement, pour compenser, le rapport de pont est raccourci de 2,78:1 à 2,93:1. La seule boîte de vitesses disponible est une TH-400 à 3 rapports. Le châssis périmétrique des modèles pleine grandeur (sur un empattement de 122 pouces) permet de récupérer la suspension avant « Accudrive » ainsi que l’essieu arrière à 4 tirants (pouvant être accouplé en option avec des coussins pneumatiques autorisant un ajustement automatique de l’assiette en fonction de la charge). Les freins à disque avant sont installés pour la première fois de série.
Autre innovation d’importance, le système Max Trac, disponible contre supplément. Il s’agit d’un antipatinage électronique. Il utilise deux capteurs de vitesse, l’un sur la roue avant gauche et l’autre en sortie de boîte de vitesses. Lorsque « l’ordinateur » détecte une différence de rotation supérieure à 10%, il agit sur l’allumage du moteur pour réduire la puissance. Le système peut être désactivé avec un bouton sur le tableau de bord (afin de sortir d’une place enneigée par exemple). Pourtant pas très cher, le système ne sera pas populaire auprès des acheteurs et sera supprimé après trois ans (il se dit aussi qu’il n’était plus compatible avec les normes de pollution de 1974, chose possible puisque l’électronique de contrôle est alors très rudimentaire).
Typée voiture de luxe, la Riviera vient avec un bon équipement de base pour l’époque : direction et freins assistés, échappement double, horloge, sièges individuels, moquette intégrale… Mais en bonne américaine, il faut allonger la note pour obtenir la climatisation, la radio AM/FM, les vitres teintées, les vitres électriques, le verrouillage central, les sièges électriques, le régulateur de vitesse et même le dégivrage arrière (c’est mesquin…). Autre option importante, l’ensemble GS (pour Grand Sport), apparu pour la première fois sur une Riviera en 1965. En 1971, il comprend le 455 pc avec des arbres à cames plus agressifs et des soupapes de plus grand diamètre (donnant 330 chevaux), une boîte automatique recalibrée, un différentiel arrière à glissement limité avec un rapport de pont raccourci (3,42:1) et une suspension renforcée. Malgré la tenue de route décente qu’il accorde à la Riviera, il n’équipera que 3 175 véhicules.
Facturée à 5 253 USD / 6 163 CAD, elle se compare favorablement à l’Oldsmobile Toronado (5 449 USD / 6 434 CAD) et à la Ford Thunderbird (5 295 USD / 6 201 CAD). Si en termes de chiffres de production, elle parvient à dépasser la Toronado, elle reste encore derrière la Thunderbird qui en est pourtant à sa cinquième année sur le marché. Avec 33 810 exemplaires, la Riviera connaît pour 1971 sa plus faible année depuis son introduction en 1963 et n’arrive pas à atteindre les quotas fixés par Buick.
Changements de détailsLogiquement, la deuxième année d’un nouveau modèle ne présente que des modifications mineures. Esthétiquement, la calandre retient un motif carré à la place des barres horizontales, une barre chromée vient souligner la ligne de caractère, les feux arrière sont redessinés et les grilles de ventilation sur le coffre disparaissent. En option, on peut obtenir un toit ouvrant et des bandes de protection en caoutchouc pour les pare-chocs. Sous le capot, un dispositif antipollution est installé pour la Californie alors que les puissances sont dorénavant exprimées en net (avec les accessoires installés), ce qui fait passer les chiffres du 455 pc à 250 chevaux pour la Riviera de base et à 270 chevaux pour la Riviera GS. Pour 1972, les ventes de Toronado et d’Eldorado décollent… mais pas celles de la Riviera, avec 33 728 exemplaires produits (dont 2 171 GS).
FédéralisationPour 1973, la Riviera subit des modifications esthétiques plus sérieuses, et ce pour deux raisons. À l’arrière, la forme en pointe est fortement adoucie et les feux, agrandis, dépassent du pare-chocs. Il se dit que c’est à la demande de Lee Mays qui, on le rappelle, n’aimait vraiment pas les lignes de la Riviera et avait maintenant les chiffres de ventes pour supporter ses goûts. À l’avant, un nouveau pare-chocs plus gros est installé pour satisfaire les nouvelles normes fédérales d’impact qui exigent de résister sans dommages à un choc à 8 km/h. De volumineux amortisseurs hydrauliques sont ajoutés entre le pare-chocs et le châssis. Le tout alourdit la voiture de 73 kilos.
L’ensemble GS est modifié et fait fi du moteur le plus puissant. Pour l’obtenir, il faut cocher la case de l’option « Stage 1 ». La production de la Riviera bouge à peine (34 080 exemplaires - dont 3 933 GS, incluant 1 234 Stage 1) alors que celle des Eldorado et Toronado s’envole (voir tableau ci-dessous). Clairement, il faut faire quelque chose.
L’ironie…Lee Mays ordonne que la voiture soit redessinée et que le style boattail disparaisse pour 1974. Paradoxe de la situation, la nouvelle ligne convainc encore moins de monde! Certes, le millésime 1974 est celui du premier choc pétrolier et les ventes de modèles pleine grandeur chutent. Cependant, si l’on se réfère au tableau ci-dessus, l’Eldorado se maintiendra très bien, prouvant que le restylage est un échec. Les ventes de 1975 et 1976 ne seront pas meilleures.
La Riviera sera restylée en 1977 et c’est vraiment avec le remodelage de 1979, pour la sixième génération correspondant au passage à la traction avant, qu’elle retrouvera le succès commercial. Le nom disparaîtra pour de bon en 1999 avec la fin de la huitième génération (Buick présentera deux concepts en 2007 et 2013, sans suite).
Flamboyante, osée, distinctive, la Riviera 1971-73 n’a pas convaincu autant que Buick le souhaitait. Pourtant, elle reste un tournant dans l’histoire du design automobile américain. Car après 1974, de nouvelles contraintes (sécurité, pollution, consommation) tueront ce genre de créativité débridée. Les Riviera 1971-73 se font de plus en plus rares sur les routes et c’est bien dommage. Quand vous en croiserez une, prenez le temps d’admirer ses lignes !
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Source : GuideAutoWeb.com, par Hughes Gonnot
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