Buick Reatta, Pontiac Fiero, Cadillac Allanté… Pendant les années 80, General Motors a tenté de créer des véhicules pour améliorer son image. Avec, à chaque fois, le même résultat…
Si les années 70 n’ont pas été faciles pour l’industrie automobile américaine, Buick a tout de même réussi à sortir son épingle du jeu. Suite à la première crise pétrolière, les ventes de la marque tombent à 495 063 exemplaires en 1974. À l’aube des années 80, elle est remontée à 854 011 immatriculations et se situe à la quatrième place du marché, juste derrière Oldsmobile. Pourtant, la direction de Buick estime qu’il faut en redorer le blason et lui donner une image plus haut de gamme, intitulée « élégance sportive ».
Un homme déterminéCelui qui pousse dans ce sens, c’est Lloyd Reuss. Entré chez GM en 1957, il prend le titre d’ingénieur en chef de Buick en 1975 avant d’en devenir le directeur général en 1980 (après deux ans comme ingénieur en chef de Chevrolet, de 1978 à 1980). Dès 1975, il réfléchit à un modèle deux places. Vers 1977-78, un premier projet est évalué sur la base des futures J-Cars de 1982 (Chevrolet Cavalier) mais, déjà sur papier, il perd de l’argent.
À son retour chez Buick, Reuss tente une nouvelle approche, cette fois-ci avec la plate-forme des futures E-Cars traction avant (Buick Riviera, Oldsmobile Toronado et Cadillac Eldorado), qui seront lancées en 1986. Grâce à l’utilisation massive de pièces de série, le programme apparaît rentable à des volumes relativement faibles. Reuss arrive à vendre le projet à la direction de GM, qui l’approuve à l’été 1981. Le véhicule doit alors être commercialisé en 1984. Du moins, en théorie…
Faire rentrer un carré dans un rondLe choix de Pininfarina pour réaliser les lignes de l’Allanté n’a pas beaucoup plu aux designers de GM qui sentent qu’ils ont des choses à prouver. Un concours interne est lancé pour dessiner le futur coupé Buick. C’est Dave McIntosh, engagé au studio de design avancé numéro 2 sous la direction de David North, qui le gagne. Sa proposition est toute en courbes, avec des phares escamotables à l’avant et un toit déjà très proche de la version finale.
Sauf qu’il y a un problème : ces lignes ne rentrent pas sur le châssis raccourci de 9,5 pouces de la future Riviera. C’est pour cela qu’il est décidé d’ajouter une arête qui fait le tour de l’auto, afin de casser les rondeurs et de modifier les proportions. Le bandeau de lumière arrière est quant à lui inspiré par la Porsche 911.
Normalement, lorsqu’un programme progresse, il sort du studio de design avancé pour aller vers un studio de production, afin de réaliser l’industrialisation. Mais peu de monde chez GM croit que ce coupé sera réellement fabriqué en série, alors tout son développement se fera exceptionnellement au studio de design avancé. Et si ce n’était que ça…
Après sa nomination à la tête de GM en 1981, Roger Smith décide d’une réorganisation interne massive qui aboutira à l’abolition de l’autonomie des divisions et à la création en 1984 de deux mégagroupes : CPC (Chevrolet, Pontiac, Canada) plus spécialement destiné à la conception de petites voitures et BOC (Buick, Oldsmobile, Cadillac) plus orienté vers les gros modèles. Cette réorganisation entraînera longtemps un immense chaos dans la corporation.
Ça et l’intense activité des bureaux d’étude à cette époque (programmes C-Body et N-Body pour 1985 et E-Body pour 1986) obligeront le chef de projet de la Reatta, Frank Colvin, à recourir à des ressources extérieures : Hawtal-Whiting pour l’ingénierie de l’auto, Lamb Sceptre pour l’ingénierie de production, Ogira Iron Works pour l’emboutissage, Aston Martin Tickford pour la fabrication des prototypes… Le développement est alors disséminé entre Detroit, l’Angleterre et le Japon. Vous pouvez imaginer la facilité de gérer tout ce petit monde…
Dernière difficulté : fabriquer l’auto alors que GM n’est pas spécialement habitué aux petites séries. Pour cela, une ancienne usine d’essieux d’Oldsmobile à Lansing, dans le Michigan, est reconvertie. Au lieu d’utiliser une chaîne d’assemblage classique qui défile en continu, le nouveau chef de projet, J. Robert Thompson, choisit une méthode par postes. Un véhicule robotisé déplace chaque Reatta vers 24 postes séparés où des ouvriers accomplissent leur tâche. Ceci permet de réduire l’investissement et améliore la qualité. Le site est rebaptisé pour l’occasion « Reatta Craft Center » et servira plus tard à la production des GM EV-1, Cadillac Eldorado et Chevrolet SSR avant d’être détruit en 2008.
L’écran du futur !La Reatta est finalement présentée en janvier 1988. Le projet a pris près de 4 ans de retard à cause, entre autres, de la réorganisation et aussi du fait d’une entente entre Cadillac et Buick qui stipulait que la Reatta devait être lancée après l’Allanté. Il s’agit d’un coupé au Cx de 0,34 qui repose sur un empattement de 2,50 mètres, long de 4,64 mètres et haut de seulement 1,30 mètre. L’auto pèse 1 536 kilos, utilise des suspensions indépendantes aux quatre roues (avec un ressort transversal en composite à l’arrière) et embarque quatre freins à disque, couplés à un ABS de série, placés dans des roues de 15 pouces.
Côté mécanique, on retrouve le vénérable V6 3,8 litres Buick (LN3) de 165 chevaux et 210 lb-pi de couple associé à une transmission automatique 4T60 à 4 rapports. À l’intérieur, l’équipement est complet : sièges électriques en cuir et suède, radio-cassette, vitres électriques, verrouillage central, trappe dans la banquette pour les objets longs et deux compartiments verrouillables à l’arrière. Les deux seules options sont les sièges ajustables dans 16 directions et le toit ouvrant (offert plus tard dans le millésime).
Et puis, il y a le morceau de résistance : l’ECC, pour Electronic Control Center. La planche de bord est intégralement reprise de la Riviera et embarque donc le nouvel écran tactile. Une folie pour l’époque! Il comprend les commandes de la climatisation, du système audio ainsi qu’un ordinateur de bord, le diagnostic de l’auto et un calendrier. Toutefois, nous sommes en 1988 et il ne s’agit pas d’un écran à cristaux liquides mais bel et bien d’un tube cathodique, comme dans les anciennes télés. Le système est donc lent, pas toujours très fiable et la clientèle n’embarquera pas. Si les gens avaient su ce qui les attendait 30 ans plus tard...
Au lancement, Buick fait bien attention à ne pas présenter la Reatta comme un véhicule sportif mais plutôt comme une auto luxueuse, agréable à conduire et facile à vivre. Au Canada, elle est offerte à 39 998 $. En comparaison, une Riviera en demande 32 898, une BMW 325i 32 900, une Cadillac Eldorado 40 498 et une Cadillac Allanté 83 178. À ce moment, Buick espère écouler de 5 à 7 000 exemplaires pour le millésime 88 (tronqué) et aux alentours de 15 000 les années suivantes.
Un cabriolet est d’ores et déjà prévu pour 1989. Quant au nom, il a été proposé par David North en hommage au film Géant de 1956 avec Rock Hudson, Elizabeth Taylor et James Dean et où l’histoire se passe dans un ranch texan baptisé Reata (avec un seul « t », qui veut dire « lasso » en espagnol).
Une carrière courte…L’accueil de la presse est plutôt bon. Celle-ci salue la qualité de finition, l’excellent compromis entre confort et tenue de route ainsi que l’équipement mais aime moins la puissance un peu limitée, l’écran tactile et le disgracieux porte-à-faux avant (imposé par l’utilisation du châssis E). Le démarrage du modèle sur le marché est décent : 4 708 exemplaires pour 1988 (dont 60 versions « Select 60 » pour les meilleurs concessionnaires, tous en noir). Le millésime 1989 ne voit logiquement que peu de changements (télécommande d’ouverture, sièges en cuir, logo modifié) mais, étonnamment, pas de cabriolet. Les ventes sont par contre en deçà des attentes de Buick : 7 009 exemplaires.
C’est finalement en 1990 que le cabriolet est proposé. Puisque la plate-forme E n’avait pas été conçue pour se passer de toit, il a fallu une année additionnelle pour développer les renforts nécessaires. Et encore, le cabriolet ne sera jamais reconnu pour sa rigidité structurelle… Son toit à ouverture manuelle ne fait pas non plus l’unanimité et fait mal digérer le supplément de plus de 8 000 dollars par rapport au coupé. Le même millésime voit aussi l’apparition d’une nouvelle planche de bord (entraînant la disparition de l’ECC) et d’un coussin gonflable.
La version « Select 60 » revient : 65 exemplaires produits (60 pour les concessionnaires, 5 pour la direction de Buick), tous des cabriolets blancs avec intérieur blanc et rouge et roues de 16 pouces. Malgré tout, les ventes décollent à peine : 6 383 coupés et 2 132 cabriolets sont écoulés. Quelques améliorations mécaniques sont apportées en 1991(V6 3,8 litres L27 de 170 chevaux et 220 lb-pi de couple, boîte automatique 4T60-E, essieu arrière de 3,33:1 au lieu de 2,97:1), alors que l’équipement progresse un peu (roues de 16 pouces, porte-gobelets, phares automatiques). Hélas, cela ne suffit pas et Buick ne vend que 1 214 coupés et 305 cabriolets.
C’est Lloyd Reuss lui-même, entre-temps devenu président de GM, qui annonce le 5 mars 1991 la fin de la Reatta. Le dernier modèle sort des chaînes le 15 mai 1991 après seulement 21 751 exemplaires. Les raisons de l’échec semblent être multiples : image floue, prix élevé, absence de V8… Et puis peu de strictes deux places arrivent à l’époque à dégager des profits (Chevrolet Corvette ou Mazda Miata par exemple) et ce sont toutes des sportives. La Reatta n’aura rien fait pour l’image de Buick, qui commencera à s’éroder tranquillement dans les années suivantes. Ce n’est jamais facile d’attraper la clientèle, même quand on s’appelle « lasso »!
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Source : GuideAutoWeb.com, par Hughes Gonnot
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