Cela commençait très bien avec une ingénierie allemande et un design américain. La Crossfire était un véhicule parfait pour redorer l’image de marque de Chrysler. Mais cela pouvait-il suffire?
Ah, la fusion DaimlerChrysler! Ce rapprochement « d’égal à égal » entre deux groupes qui s’est rapidement révélé une acquisition pure et simple. C’était l’époque où Jürgen Schrempp, le patron de Daimler-Benz, tentait de créer un nouveau géant mondial (avec Mitsubishi) avant que cela ne lui explose au visage. Heureusement, quelques véhicules intéressants sont nés de cette « alliance » qui a duré moins de 10 ans.
Retour vers le passéNous sommes en 2000 et Eric Stoddard, entré chez Chrysler en 1998, réalise les dessins d’un coupé d’inspiration néo-rétro. Tom Gale, le célèbre directeur du design, aime bien le style art déco des croquis. Il faut dire que Chrysler a déjà proposé plusieurs concepts influencés par les années 30 : Atlantic (inspiré par Bugatti, en 1995), Phaeton (1997) ou Chronos (1998).
Il autorise la construction du concept, qui doit être exposé au Salon de l’auto de Detroit en janvier 2001. Mais Gale part à la retraite en décembre 2000 et c’est son remplaçant, Trevor Creed, qui effectue le dévoilement. Ce dernier déclare lors de l’événement : « Si nous devions le mettre en production, je suis sûr qu’il deviendrait un classique instantané ». L’histoire parlera…
Les lignes sont ciselées et une arête dorsale parcourt toute l’auto, l’essuie-glace central placé en position haute en assurant la continuité. Le resserrement de la vitre arrière permet d’obtenir des ailes musclées. Le concept repose sur un empattement de 2,61 mètres. Il embarque un V6 à compresseur de 2,7 litres développant 275 chevaux couplé à une boîte manuelle à 5 rapports. La différence entre les pneus avant (en 19 pouces) et arrière (en 21 pouces) accentue la posture de l’engin. L’intérieur est signé par Glen Abbott. La Crossfire est un succès et, rapidement, Chrysler décide de le mettre en production. Souvenons-nous que la compagnie a déjà une solide expérience pour faire passer des concepts de la lumière des salons à l’asphalte de la rue (pensez Dodge Viper et Plymouth Prowler).
Recyclage à l’allemandePour un modèle avec un si petit volume projeté, pas question d’utiliser un châssis original. La solution s’impose rapidement : recourir à la plate-forme R170 propulsion de la Mercedes-Benz SLK. D’abord montrée sous forme de concept en 1994, la SLK commence à être commercialisée en 1997 et se distingue de ses concurrentes par son toit rigide rétractable. Uniquement disponible avec un 4 cylindres, elle ne reçoit un V6 qu’à partir du millésime 2000. Elle termine sa carrière en 2004 après 311 222 exemplaires écoulés (un vrai succès) pour être remplacée par la SLK R171 en 2005.
C’est le designer Andrew Dyson, assisté de Stoddard, qui assurera le passage du concept à la grande série. Il doit gérer différents impératifs : rendre l’avant compatible aux normes de sécurité et effectuer la modification des proportions en migrant sur un châssis avec 21 centimètres d’empattement de moins tout en conservant au maximum le design original. Et l’on peut dire qu’il a réussi.
Les lignes sont étonnamment proches du véhicule présenté à Detroit et l’auto garde son aileron escamotable (qui se relève au-dessus de 95 km/h et se rabaisse en dessous de 70 km/h), mais se voit dotée de plus petits pneus (18 pouces à l’avant et 19 pouces à l’arrière). L’intérieur provient directement de la SLK mais offre plus de couleurs.
Pour la mécanique, même histoire : V6 3,2 litres de 215 chevaux et choix de boîtes : une manuelle à 6 rapports ou une automatique à 5 rapports, estampillées de l’étoile à trois branches. Cela réduit considérablement les coûts et les temps de développement. Chrysler a mis le turbo et présente sa Crossfire de série, comme modèle 2004, au Salon de l’auto de Los Angeles en octobre 2002, soit à peine 21 mois après Detroit.
Une gamme complèteLe 3 février 2003, la première Crossfire de série sort des chaînes de production du carrossier Karmann, à Osnabrück en Allemagne. Elle est conduite par Wolfgang Bernhard, président et chef de l’exploitation de Chrysler. La marque espère alors en écouler 20 000 par année, dont 17 000 à destination de l’Amérique du Nord (incluant environ seulement 700 pour le Canada). Les autos arrivent dans les concessions canadiennes à l’été 2003. Au lancement, une unique finition est disponible.
Facturée 47 745 CAD, elle entre en compétition avec des modèles aussi variés que l’Audi TT (49 975 $), la BMW 330i Coupé (49 550 $), la Ford Thunderbird (56 775 $), l’Infiniti G35 Coupé (45 200 $), la Mazda RX-8 (36 795 $), la Mercedes CLK320 (62 850 $) et la Nissan 350 Z (45 400 $). Par rapport à sa cousine SLK320, vendue à 61 950 $, c’est presque une affaire!
La Crossfire est appréciée par la presse pour son allure originale, sa finition « à l’allemande », sa tenue de route équilibrée (malgré un arrière jugé parfois un peu trop vivant). Elle lui reproche cependant sa visibilité arrière, son coffre légèrement réduit et pas facile d’accès, un petit manque de puissance (le 0 à 100 km/h est abattu en 6,3 secondes) et une habitabilité un poil juste avec des sièges un peu trop fermes.
Pour 2005, Chrysler revoit complètement la gamme. À l’entrée, on retrouve une nouvelle version de base du coupé, moins équipée et facturée 39 995 $, suivie d’une version Limited, toujours vendue 47 745 $. Vient ensuite le nouveau cabriolet, uniquement en Limited à 51 595 $, qui entre en lutte contre la BMW Z4 (51 800 $), la Mercedes SLK 350 (64 500 $, paradoxalement présentée en même temps) et la Porsche Boxster (62 400 $). Contrairement à la SLK, il est muni d’une capote souple qui peut se rabattre en 22 secondes (mais pas entièrement automatique).
Il ne souffre pas vraiment de la perte du toit en termes de rigidité (après tout, la plate-forme d’origine est conçue pour être un cabriolet). Pour les amateurs de performances, Chrysler introduira à l’automne 2004 une variante SRT-6 avec le V6 de 3,2 litres doté d’un compresseur et fabriqué chez AMG.
Il développe alors 330 chevaux et 310 lb-pi de couple (ce qui est bizarre car, installé dans la SLK, le même moteur génère 349 chevaux et 332 lb-pi de couple) et ne peut être couplé qu’à une boîte automatique à 5 rapports. La SRT-6 effectue le 0 à 100 km/h en 5,4 secondes, se distingue par ses jantes à 16 branches, son aileron arrière fixe et ses logos SRT. Elle est disponible en coupé (62 475 $) et cabriolet (66 325 $). Commercialisée seulement deux ans, la SRT-6 est très rare (voir les chiffres de production ci-dessous).
La chutePour les deux premières années, la Crossfire a parfaitement rempli ses objectifs commerciaux. Toutefois, à partir de là, les choses vont se gâter. Elle ne connaîtra plus d’évolutions significatives jusqu’à la fin de sa carrière. Les ventes vont baisser dramatiquement à partir de 2006 pour ne plus se redresser.
La dernière Crossfire sort des chaînes d’Osnabrück le 17 septembre 2007. À ce moment, Chrysler a bien des feux à éteindre. La division perd de l’argent à flots et l’entente avec les propriétaires allemands a tourné à l’orage. Daimler-Benz se sépare de sa branche américaine et la vend au fonds d’investissement Cerberus Capital Management en août 2007. La crise de 2008 finira de mettre Chrysler à terre…
Dotée d’indéniables qualités, la Crossfire n’a pourtant pas vraiment su trouver son public. Positionnée contre des modèles aux logos prestigieux et des sportives reconnues, elle n’a pas réussi sa mission de véhicule image.
Probablement parce que l’image de marque de Chrysler était un peu trop décrépie et qu’il y avait encore fort à faire…
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Source : GuideAutoWeb.com, par Hughes Gonnot
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