« À vous de le dresser! » C’est ce slogan quasiment prémonitoire qui figure sur la couverture de la brochure canadienne du Bronco II 1984. Car nous allons voir que ce sympathique VUS porte bien son nom et qu’il s’avérera difficile à dompter pour nombre de ses propriétaires.
Si le Bronco original (1966-1977) est aujourd’hui une icône du design, il a connu à l’époque un succès commercial bien relatif. En effet, seulement 225 585 exemplaires ont été écoulés en 12 ans. Conscient de ce problème et de l’avancée de la concurrence, Ford adopte une approche similaire à celle du Chevrolet Blazer pour sa deuxième génération de 1978 (elle devait être initialement lancée en 1974, mais la première crise du pétrole de 1973 a chamboulé les plans du constructeur). Fini le châssis spécifique de la première génération, le soubassement provient dorénavant du Série F.
Résultat, le nouveau modèle est plus long (de près de 65 centimètres), plus large (de 21 centimètres) et plus lourd (de presque 500 kilos) que l’original. Et puisque nous sommes en Amérique du Nord et que bigger is better, les ventes explosent : + 435% entre 1977 et 1978! Cependant, la direction de Ford se demande s’il n’y avait pas un segment du marché qui ne serait pas exploité, avec un petit utilitaire présentant des dimensions similaires au Bronco premier du nom.
Ford monte sur ses grands chevauxLa fin des années 60 et le début des années 70 voient l’émergence des camionnettes compactes japonaises. Pour ne pas être en reste devant Toyota, Nissan ou Chevrolet (avec le LUV sur base Isuzu), Ford s’associe avec Mazda (dont elle possédait 7% des parts à l’époque) pour importer des camionnettes fabriquées à Hiroshima sous le nom de Ford Courier. La marque à l’ovale les commercialisera en Amérique du Nord de 1972 à 1982. Le choc pétrolier de 1973 amène les dirigeants du constructeur à revoir leur approche du marché et à vouloir rapatrier en interne ce qui semble un segment porteur dans le futur, d’autant que le gouvernement américain introduit en 1975 les normes CAFE (Corporate Average Fuel Economy) qui entreront en vigueur en 1978.
En 1976, Ford lance le projet Yuma, destiné à concevoir un pickup compact. La compagnie investira 700 millions de dollars pour obtenir le véhicule le plus solide et le plus économique possible. À cause de la seconde crise pétrolière de 1979, le programme faillit passer à la trappe. Mais lorsque le PDG de Ford, Donald Petersen, apprit que GM travaillait sur des modèles similaires (Chevrolet S-10 et GMC S-15), il décida de continuer. Le Ranger fut introduit sur le marché en mars 1982, pour le millésime 1983, peu après les concurrents de la General.
Cheval de traitUne façon de sauver le projet Yuma a été de lui donner un modèle additionnel : le remplaçant du Bronco original. En cela, Ford et GM utilisent la même méthode alors que cette dernière introduira les VUS Chevrolet S-10 Blazer et GMC S-15 Jimmy en 1983, basés sur la plate-forme des camionnettes. Ainsi, tout le châssis et la partie mécanique sont repris du Ranger, mais avec un empattement raccourci de 35 centimètres (et juste 5 centimètres plus long que le véhicule de 1966 - voir le tableau des dimensions ci-dessous). Ce chiffre aura une importance cruciale par la suite.
Si le Ranger offre plusieurs combinaisons de motorisations (4-cylindres 2,0 et 2,3 litres, 4-cylindres diesel 2,2 litres et V6 2,8 litres) et de transmissions (4x2 ou 4x4), le Bronco II n’est proposé à son lancement qu’avec le V6 Cologne de 115 chevaux et en 4x4. Le seul choix est celui de la boîte de vitesses : manuelle à 4 rapports (TK4) de série et manuelle à 5 rapports (TK5) ou automatique à 3 rapports (C5) en option.
L’essieu avant fait appel à la suspension indépendante Twin-Traction-Beam, introduite en 1980 sur le Série F (jusque-là, il était rigide sur les 4x4 Ford!). Il intègre un différentiel Dana 28 décalé du côté conducteur. Le verrouillage de l’essieu est manuel (au niveau des roues), mais il peut être automatique contre un supplément. Le boîtier de transfert est un Borg-Warner 1350 avec un rapport de réduction de 2,48:1. L’essieu arrière est un Ford 7.5 pouces avec différentiel à glissement limité en option. Correctement équipé, le Bronco II peut remorquer jusqu’à 4 050 livres (1 839 kilos). Haut sur pattes, avec un empattement et des porte-à-faux réduits, il s’avère agile en tout terrain et possède des angles d’attaque (29,5 degrés) et de départ (24,8 degrés) avantageux. Il offre un rayon de braquage de seulement 9,8 mètres. Tout au long de sa carrière, il sera produit à l’usine de Louisville, dans le Kentucky, aux côtés du Ranger.
Une large écurieLe Bronco arrive en concession au mois de mars 1983 pour le millésime 1984. Trois versions sont proposées : de base, XLT et XLS. En bon utilitaire Ford, les possibilités de personnalisation sont presque infinies : 15 couleurs offertes avec disponibilité de peinture deux tons (en motif simple ou de luxe), volant inclinable, régulateur de vitesse, vitres teintées, climatisation, ensemble Commodité, ensemble Éclairage, console au plancher, console au plafond, rétroviseurs à bras longs, module d’instrumentation, trois types de roues… Il y a même un ensemble Chasse-neige (châssis, amortisseurs et ressorts renforcés, radiateur de transmission, alternateur de grande capacité)!
Le prix de base du Bronco II au Canada est 12 388 $, ce qui n’est pas donné quand on sait qu’un Bronco pleine grandeur est proposé à 13 927 $. En comparaison, le Blazer 4x4 est vendu 11 892 $ et le nouveau Jeep Cherokee 11 590 $. Dans son édition 1984, le Guide de l’auto vante la qualité de construction, l’intérieur pratique et accueillant, le V6 coupleux et la maniabilité. Il déplore par contre une tenue de route moyenne en virage et un agrément de conduite mitigé.
Cheval de concoursUne finition luxueuse Eddie Bauer, du nom de la compagnie d’habillement fondée en 1920, sera ajoutée en cours d’année. Basée sur la XLT, elle se distingue par sa peinture deux tons exclusive, sa sellerie en tissu cossu, son équipement complet ainsi que par un porte-cartes et un sac de voyage fournis par le couturier. Initialement présentée comme une série spéciale, elle intègre la gamme en tant que modèle à part entière au millésime 1985. La même année, la boîte à 5 rapports (FM145) vient en équipement standard et la boîte automatique optionnelle gagne un rapport (type A4LD à la place de la C5).
Abordons maintenant la grande énigme du Bronco II : le moteur diesel. Ce type de motorisation a bel et bien été disponible dans le Ranger : 2,2 L Mazda (sous licence Perkins) de 59 chevaux (!) en 1983-1984 puis 2,3 L turbo Mitsubishi de 86 chevaux en 1985-1986. Dans son édition 1985, le Guide de l’auto écrit : « Cette année, Ford offre un groupe diesel turbocompressé de 2,3 litres. Ce moteur devrait livrer des performances plus que convenables, mais aussi une plus grande économie de carburant que le V6. » Devrait est ici le mot clé. Car personne n’est d’accord sur les dates de fabrication (ce « serait » en 1985, en 1986 et/ou 1987), il n’existe aucun chiffre de production, il n’est mentionné dans aucun catalogue Ford et s’il l’évoque, le Guide ne l’a jamais conduit (ni aucun autre magazine apparemment). S’il est certain que Ford l’a annoncé à la presse, plusieurs se demandent aujourd’hui si la marque l’a déjà effectivement fabriqué... Même le magazine Motor Trend le qualifie de « possiblement mythique ». Peut-être en connaissez-vous un au fond d’une cour?
Des évolutions à bride abattueLe millésime 1986 apporte un lot significatif de nouveautés : le 2,8 litres Cologne à carburateur est remplacé par une évolution 2,9 litres à injection électronique (Ford EEC-IV) développant 140 chevaux, sur les 4x4 le verrouillage automatique du différentiel avant peut se faire en roulant alors qu’une variante deux roues motrices est ajoutée. Fait étonnant, même s’il ne sert à rien, un boîtier de transfert est monté dans les 4x2 (BW 1359), il n’en sort simplement pas d’arbre vers le train avant. Les spécialistes se perdent encore aujourd’hui en conjectures sur sa présence. La version XL est supprimée.
Pour 1987, le Bronco II reçoit l’ABS aux roues arrière et le modèle de base prend le nom de XL. Pas grand-chose à signaler en 1988 si ce n’est l’apparition d’une version XL Sport. Le millésime 1989 voit le premier et seul restylage du véhicule. Comme sur le Ranger, la calandre avant est adoucie, mieux intégrée, avec des phares agrandis. La longueur passe à 4,11 mètres. L’intérieur est aussi redessiné avec une nouvelle planche de bord, de nouveaux sièges et des selleries inédites. Pas d’évolutions techniques majeures cette année-là. Ce qui n’est pas le cas en 1990, la dernière année de production. De nouvelles têtes de moteur sont installées sur le V6. Les 4x4 ont leur essieu avant revu (il reçoit un différentiel Dana 35) alors que le boîtier de transfert est changé pour un BW 1354. L'inutile boîtier de transfert des 4x2 disparaît enfin.
Il rue dans les brancards !Il reste l’épineuse question des retournements, qui va ternir la réputation du Bronco II à tout jamais. Si la garde au sol élevée et l’empattement réduit sont des avantages en tout terrain, ils deviennent de véritables inconvénients au regard de la stabilité sur route ouverte, rendant le véhicule plus susceptible de se retourner. Le problème, c’est que Ford aurait été au courant dès la phase de développement du VUS que certains tests auraient été annulés pour sauvegarder les essayeurs, que des modifications suggérées par les ingénieurs auraient été rejetées pour respecter le calendrier et que certains documents auraient disparu... Mais les choses vont quand même finir par se remarquer.
En 1989, le magazine Consumer Reports déclare le Bronco II « À éviter » à cause de sa tenue de route. La même année, la NHTSA ouvre une enquête sur le véhicule, mais ne demandera pas de rappel. Étonnamment, c’est la version propulsion qui pose le plus de problèmes. Selon l’Insurance Institute for Highway Safety (IIHS), le taux de mortalité lié au renversement du Bronco II propulsion entre 1986 et 1990 était de 3,78 pour 10 000 véhicules, contre 1,74 pour le Bronco II 4x4 et 1,11 pour le Suzuki Samurai. L’institut a précisé que 88% des décès dans les Broncos, à deux ou quatre roues motrices, impliquaient un retournement. Les actions légales commencent à s’accumuler et vont durer pendant près de deux décennies. Un article du magazine Time de mai 2001 révèle que le modèle aurait coûté à Ford « 2,4 milliards de dollars en dommages et intérêts ».
Miser sur le bon chevalDu point de vue commercial, le Bronco II est un succès pour Ford et sera écoulé à plus de 750 000 exemplaires (voir chiffres ci-dessous), soit des ventes annuelles moyennes près de 6 fois supérieures au Bronco original.
La marque travaille donc à son remplacement. Baptisé en interne UN46, il repose toujours sur la plate-forme du Ranger, mais se distingue par deux éléments importants : une carrosserie 4 portes et un empattement allongé (2,59 mètres en 2 portes et 2,84 en 4 portes contre 2,39 pour le Bronco II). Plus large aussi, il est prévu pour accueillir une variante 4,0 litres du V6 Cologne. Regardez la photo ci-dessous du prototype (le nom est bien indiqué sur le hayon).
Si vous le reconnaissez, c’est normal! Au cours du développement, il prendra une nouvelle dénomination : Explorer. Présenté en mars 1990 pour le millésime 1991 (avec son très rare cousin, le Mazda Navajo), il sera l’un des plus gros succès de toute l’histoire de Ford en dépassant régulièrement les 400 000 ventes par an entre 1995 et 2002. L’Explorer connaîtra à son tour de nombreux démêlés judiciaires dans les années 2000. L’histoire est un éternel recommencement…
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Source : GuideAutoWeb.com, par Hughes Gonnot
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