Sur le papier, l’idée de Volkswagen de faire monter son coupé en gamme paraissait intéressante. Dans la réalité, la Corrado s’est heurtée à une rude concurrence… y compris venant de l’interne.
Grâce au succès de la Mustang en Amérique du Nord, l’Europe commence à rêver de pony cars à la fin des années 60. Logiquement, Ford dégaine le premier à l’automne 1968 avec la Capri et, deux ans plus tard, Opel lance la Manta. Il faudra attendre 1974 pour que Volkswagen, en plein renouveau avec son passage réussi à la traction avant avec la Passat, entre dans la danse avec la Scirocco (la Golf sera présentée 6 mois après). Le sympathique coupé (dont les lignes ont été signées par Giorgetto Giugiaro) connaîtra une belle carrière commerciale jusqu’en 1981, avec 504 153 exemplaires écoulés à travers le monde.
Les choses se gâtent un peu avec la deuxième génération de Scirocco, qui ne sera vendue qu’à 291 497 exemplaires jusqu’en 1992. Trois raisons expliquent cette baisse de performance : la montée en puissance du segment des GTI (ironiquement, créé par Volkswagen), la concurrence japonaise et un style moins accrocheur, cette fois-ci réalisé en interne par le studio d’Herbert Schäfer. L’auto est loin d’être un échec mais oblige Volkswagen à repenser son approche.
Une Porsche chez Volkswagen?!La chose n’est pas nouvelle (voir la 914). Mais effectivement, pourquoi ne pas faire durer la Scirocco II un peu plus longtemps et placer sa remplaçante dans une gamme de prix supérieure? L’idée est séduisante car avec l’évolution des normes de sécurité et l’amélioration de la qualité, les autos sont de plus en plus lourdes et ne supportent plus des petits moteurs d’entrée de gamme (la Scirocco II pouvait recevoir un 1,3 litre en Europe). En outre, avec des volumes en baisse, il est avantageux d’avoir un véhicule plus cher et donc plus rentable. Volkswagen sait que la Porsche 924 est en fin de vie, il pourrait être bon d’aller chercher ses acheteurs.
Comme précédemment, le coupé Volkswagen reprend la base technique de la Golf mais cette fois-ci de deuxième génération (train avant McPherson et essieu semi-rigide à l’arrière). Si l’empattement est un peu réduit (2 470 mm contre 2 475 pour la Golf), la longueur passe de 3 985 à 4 048 mm. Le style est encore une fois signé par Herbert Schäfer. Ce dernier sera directeur du design de Volkswagen de 1972 à 1993. Il est réputé pour ses lignes conservatrices visant d’abord et avant tout à communiquer une impression de solidité. Le coupé Corrado n’échappe pas à la règle et le magazine belge Le Moniteur Automobile résume parfaitement la situation en le décrivant comme suit : « il a la beauté sobre de l’objet efficace ». Pour l’excitation, vous repasserez…
L’originalité, il faut plutôt aller la chercher du côté de l’aileron arrière escamotable, une première chez Volkswagen. Celui-ci se déploie de 5 centimètres une fois les 120 km/h atteints (70 km/h en Amérique du Nord). Il permet de réduire l’effet de portance sur l’essieu arrière de 64%. La Corrado offre aussi un Cx efficace : 0,32 (contre 0,38 pour la Scirocco II). À l’intérieur, c’est une planche de bord de Passat de troisième génération qui se trouve en face du conducteur.
Le point GLa Corrado offrira deux moteurs à son lancement européen : un 1,8 litre 16 soupapes de 136 chevaux en provenance directe de la Golf GTI 16S et un 1,8 litre 8 soupapes doté d’une technologie unique à Volkswagen, le compresseur G, pour la version G60 de 160 chevaux.
Cette technologie repose sur un brevet du Français Léon Creux, déposé en 1905 mais tombé en désuétude à cause des difficultés de fabrication. Le principe est simple : la compression de l’air se fait entre deux spirales, l’une fixe et l’autre mobile. La spirale mobile est montée sur un arbre excentré qui tourne 1,7 fois plus vite que le moteur. En se rapprochant et en s’éloignant, les spirales pompent l’air vers le centre du compresseur où il est envoyé vers un refroidisseur avant d’entrer dans les cylindres. Volkswagen commencera à travailler sur ce compresseur en 1978 et ne sera en mesure de le commercialiser qu’en 1986 sur la Polo G40 (en référence au diamètre des spirales en millimètres), et encore uniquement en série limitée.
Il faudra attendre 1988 pour un début de production à plein volume avec une deuxième série de Polo G40 et la Corrado G60. Et même là, les montées en cadence seront difficiles, la fabrication nécessitant un outillage et des matériaux extrêmement sophistiqués pour l’époque. Ce compresseur trouvera aussi son chemin sous le capot des Golf et Passat et sera produit jusqu’en 1992 en version 60 mm et 1994 en version 40 mm. Il s’avèrera très peu fiable, ayant une tendance certaine à la désintégration, nuisant à la réputation du modèle. Pourtant, derrière le volant, il procure des sensations intéressantes, permettant des montées en régime musclées jusqu’à 5 000 tr/min. À l’époque, plusieurs essayeurs se demandent pourquoi Volkswagen n’a pas combiné le compresseur G et la culasse multisoupape. Le problème de la robustesse est peut-être la réponse.
À la course!La Corrado est présentée à la presse européenne à Nuremberg le 22 août 1988 et fait sa première apparition publique au Salon de l’auto de Paris en octobre 1988. À l’instar des Scirocco, elle est produite dans l’usine Karmann d’Osnabrück. Contrairement à la Scirocco, son nom ne provient pas d’un vent mais trouve plutôt son origine dans le mot « correr », soit courir en espagnol, choisi pour démontrer l’agilité. À ce moment, Volkswagen espère en fabriquer 20 000 par an, avec 8 500 exemplaires destinés aux États-Unis et au Canada.
Et justement, elle arrive au Canada au cours du millésime 1989 mais, curieusement, ne sera disponible chez nos voisins du Sud que l’année suivante. Seule la version G60 est proposée. La puissance ne baisse qu’à 158 chevaux car toutes les G60 sont déjà vendues catalysées en Europe. La presse européenne a reconnu les qualités de la Corrado en matière de tenue de route, d’habitabilité (pour un coupé 2+2), de construction et d’agrément moteur. Ce que confirme le Guide de l’auto dans son édition 1990. En revanche, la commande par câbles de la boîte de vitesses manuelle fait l’unanimité contre elle des deux côtés de l’Atlantique, tout comme les reprises, jugées timides (7,7 secondes pour le 0 à 100 km/h et 225 km/h en vitesse de pointe tout de même).
Contrairement aux versions européennes, la Corrado arrive bien équipée en Amérique du Nord : climatisation, régulateur de vitesse, ordinateur de bord, ABS, vitres et rétroviseurs électriques, sièges chauffants et chaîne audio à six haut-parleurs. Le prix de base est fixé à 26 350 $ canadiens. Ce qui n’est pas mal mais une Scirocco 16V coûtait 22 840 $ un an auparavant. Et puis la concurrence est très bien placée côté prix : 20 695 $ pour une Acura Integra GS, 22 500 $ pour une Eagle Talon TSi Turbo 4x4, 24 560 $ pour une Honda Prelude SR 4 roues directrices (1991), 24 840 $ pour une Mazda MX-6 GT 4 roues directrices, 18 890 $ pour une Nissan 240 SX et 22 598 $ pour une Toyota Celica GT-S. Et n’oublions pas la principale rivale en interne : la Golf GTI 16V à 18 900 $. Bref, la Corrado aura fort à faire pour s’imposer.
En attendant le V6La boîte automatique à 4 rapports fait son apparition au millésime 1991, tout comme les roues BBS en 15 pouces. C’est au cours de l’année modèle suivante qu’arrive la grande nouveauté : le moteur VR6 (un 6 cylindres en V avec un angle entre les bancs de seulement 15 degrés, permettant de n’utiliser qu’une unique culasse). D’une cylindrée de 2,8 litres, il développe 172 chevaux (l’Europe a droit à une version de 2,9 litres de 190 chevaux), autorisant un 0 à 100 km/h en 6,9 secondes. La Corrado est légèrement restylée (nouvelle face avant, capot plus bombé, ailes élargies pour accommoder les trains roulants de Passat B3), la commande de boîte par câbles disparaît au profit d’un système classique à tringlerie et l’équipement est revu. La version G60 est supprimée. Le prix monte alors à 29 500 $.
La Corrado finit sa carrière aux États-Unis au millésime 1994 et un an plus tard au Canada ainsi qu’en Europe. Malgré des qualités indéniables, surtout en V6, elle n’a pas su trouver sa place. Le pays de l’Oncle Sam a acheté 18 648 exemplaires et on ignore le nombre exact pour le Canada. Le chiffre de production totale généralement reconnu sur internet est de 97 521 exemplaires. Sur son site média, Volkswagen annonce 97 535 véhicules fabriqués. Par contre, une revue complète des états financiers du Groupe Volkswagen de 1988 à 1995 fait ressortir les volumes détaillés suivants :
Production :
1988 : 3,206
1989 : 24,389
1990 : 21,893
1991 : 17,058
1992 : 16,085
1993 : 8,623
1994 : 3,787
1995 : 2,424
Total : 97,465
Le vent a tourné et les coupés sont moins à la mode dans les années 90. La Corrado ne sera pas remplacée et quand viendra le temps pour Volkswagen de retenter l’aventure d’un coupé 2+2, en 2008, la marque choisira le nom de Scirocco. Un peu comme si elle voulait oublier l’intermède…
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Source : GuideAutoWeb.com, par Hughes Gonnot
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