Il serait très réducteur de ne ramener la Ford Falcon qu’à une voiture économique. Certes, c’est sa mission de départ. Toutefois, elle deviendra autre chose au fil du temps et servira de base à l’une des Ford les plus importantes de l’histoire ainsi qu’à de nombreux autres modèles.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Ford réalisera plusieurs tentatives afin de lancer un modèle compact en Amérique du Nord, tentatives qui aboutiront toutes à la même conclusion : le projet n’est pas rentable. Dans les années 50, la Volkswagen Beetle et quelques autres importées européennes commencent à se tailler une part respectable du marché. Mais cela ne convainc pas les trois grands de Detroit de développer un véhicule compact. Il faudra attendre la récession de 1957/58 pour que l’économie d’essence soit enfin à l’ordre du jour chez les constructeurs américains. Chez Ford, un homme devra mettre tout son poids dans la balance pour que le projet aboutisse : Robert McNamara.
Le statisticienNé en1916, Robert Strange (c’est vraiment son deuxième prénom) McNamara se distinguera durant le conflit mondial au contrôle statistique de l’armée. C’est son supérieur, Tex Thornton, qui lui suggérera d’entrer chez Ford à la fin de la guerre après avoir lu dans le magazine Life que la compagnie était en difficulté. Thornton, McNamara et huit autres de ses collègues sont engagés par Henry Ford II en 1946. Posant beaucoup de questions, ils seront vite appelés les « Quiz kids » (du nom d’une célèbre émission télé de l’époque) avant de se renommer eux-mêmes les « Whiz kids » (enfants prodiges). McNamara monte rapidement dans les rangs de la compagnie et devient directeur général de la marque Ford en janvier 1955. Comme il le reconnaît lui-même, il n’est pas un amateur d’automobiles. Ce qui l’intéresse, ce sont les chiffres, l’efficacité, la rentabilité. Très analytique et pragmatique, il est également très pieux et se sent guidé par une certaine responsabilité sociale. Dès 1956, il commence à militer pour une compacte Ford, moins énergivore. La légende raconte qu’il aurait mis sur un pamphlet les données techniques préliminaires de l’auto durant un service à l’église. En voyant le papier, Donald Frey (alors ingénieur en chef pour les véhicules passagers et membre du futur comité Fairlane qui va créer la Mustang) lui demandera « C’est très bien tout cela, mais quel type de voiture voulez-vous? ». McNamara n’y avait pas pensé.
La récession de 1957/58 (dite Eisenhower) va chambouler les choses, y compris sceller le destin déjà difficile d’Edsel (marque à laquelle était farouchement opposé McNamara). En milieu d’année 1957, Ford décide de s’engager dans le programme de voiture compacte. McNamara veut un modèle simple, efficace, sans la moindre frivolité, pouvant accueillir 6 personnes et pas cher. Un bon moyen de réduire les coûts, c’est de réduire la quantité de matériaux utilisés. Voilà pourquoi l’ingénieur Frederic J. Hooven va concevoir, sur un empattement de 109,5 pouces (2,78 mètres), une structure monocoque solide et simple. Un point qui va avoir une grande importance pour la suite. Plusieurs designers travailleront sur des avant-projets en 1957 mais ce sont Gale Halderman et Don DeLaRossa qui seront les principaux contributeurs au modèle final, étant assignés au programme au début de 1958. Le style est finalisé au printemps 1958 et c’est aussi à ce moment-là que le nom Falcon est définitivement choisi (après quelques arrangements corporatifs avec Chrysler, qui avait déjà utilisé ce nom sur un concept). Enfin, Ford développera un tout nouveau 6 cylindres en ligne de 144 pc (2,4 litres) pour ce véhicule.
Le 9 septembre 1959, le nouveau modèle Ford est présenté à la presse et arrive en concession le 3 octobre suivant. Des trois compactes introduites par les « Big Three » en 1960 (Rambler avait déjà lancé l’American en 1958 et Studebaker la Lark en 1959), la Falcon est de loin la plus conventionnelle. La Chevrolet Corvair se distingue par son 6 cylindres refroidi par air installé à l’arrière et la Plymouth Valiant par des lignes quelque peu exubérantes. Bien en prendra à Ford qui, à la fin de l’année, montera sur la première place du podium avec 435 676 Falcon produites contre 250 007 Corvair et 194 292 Valiant. C’est un excellent résultat pour Ford, même si la marque avait envisagé de construire jusqu’à 650 000 exemplaires la première année.
Au lancement, il n’y a que deux modèles : berline à 2 ou 4 portes. Les familiales (également en 2 et 4 portes) n’arriveront sur le marché qu’à la mi-décembre 1959. Au printemps 1960, une version utilitaire est ajoutée : le Ranchero. Basé sur la formule des « utes » australiens, le nom avait été introduit au millésime 1957 et le modèle avait été produit jusqu’en 1959 sur le châssis des Ford pleine grandeur. Le Ranchero restera sur la base de la Falcon jusqu’au millésime 1966 avant d’utiliser celle de la Fairlane à partir de 1967.
La Falcon est effectivement une propulsion économique (pouvant réaliser jusqu’à 30 milles au gallon) mais la gamme 1960 n’est pas particulièrement étoffée : un seul moteur de 90 chevaux, deux boîtes de vitesses (manuelle 3 rapports ou automatique 2 rapports) et une maigre liste d’options (radio, chauffage, pare-brise teinté, lave-glace et quelques ornements dont les pneus à flancs blancs). Le groupe Deluxe ajoute les entourages de vitre chromés, l’allume-cigares, des accoudoirs arrière, un volant blanc, des décorations de feux arrière et l’éclairage intérieur à l’ouverture des portes. Pas de freins assistés ou de direction assistée, pas de confort électrique… tout cela manque de panache mais les choses vont rapidement changer!
Le vendeurRobert McNamara continue d’avancer dans la hiérarchie de Ford et, le 9 novembre 1960, il devient président de la compagnie (Henry Ford II en reste le PDG). Mais il quitte Ford le 1er janvier 1961 pour prendre le poste de secrétaire à la Défense du gouvernement Kennedy, poste qu’il occupera jusqu’en février 1968 avant de devenir président de la Banque mondiale. La Falcon, dans sa forme originale, vient de perdre son plus ardent défenseur. Mais ce n’est pas, loin de là, la fin de l’histoire.
Dans la compagnie, un nouveau joueur fait parler de lui : Lido Antony Iacocca, dit Lee. Né en 1924 de parents italiens, il entre chez Ford en 1946 après avoir suivi des études d’ingénierie. Il se tourne vite vers les ventes et le marketing, qu’il sent être plus proches de son tempérament. Il se fait remarquer par la direction en 1956 grâce à sa campagne de promotion « 56 for 56 » (paiements de 56 $ pour acheter un modèle 1956). La campagne passera à l’échelon national. À partir de là, il monte rapidement les rangs et devient directeur général de la marque Ford en novembre 1960. Iacocca, c’est un peu l’antithèse de McNamara : instinctif, flamboyant, il aime le produit, il a du flair pour les goûts des consommateurs et cherche à multiplier les versions et les options pour séduire les acheteurs et augmenter les profits.
Au début du millésime 1961, la Falcon évolue un peu : grille convexe à la place de la grille concave de 1960, nouveaux choix de couleurs, apparition d’une rare version de livraison (Sedan Delivery, voir tableau de production plus bas) et ajout d’une deuxième variante du 6 cylindres (170 pc, 2,8 litres, 101 chevaux) alors que le moteur de base passe à 85 chevaux. C’est au printemps 1961 que l’on commence à sentir la touche Iacocca tandis qu’un modèle est ajouté à la gamme : la Falcon Futura. Basée sur la deux portes, dotée de sièges baquets avec une console centrale, d’une finition intérieure et extérieure de luxe et de trois petites « balles » sur l’aile arrière, elle se veut une réplique à la Corvair Monza, lancée en mai 1960 et qui exploite une recette similaire. La Monza deviendra rapidement un gros vendeur dans la gamme Corvair et est souvent citée par les historiens de l’automobile comme l’élément déclencheur qui amènera à la création du segment des ponycars. Malgré une arrivée tardive, la Falcon Futura est bien accueillie avec 44 470 exemplaires produits.
L’année modèle 1962 connaît quelques changements significatifs : les Deluxe deviennent des versions à part entière, une déclinaison Squire familiale est ajoutée (elle se distingue par ses côtés en faux bois), le style est légèrement révisé (notamment avec l’ajout d’un dôme de capot), la liste des options s’allonge (y compris l’air conditionné Polar-Aire). La Futura voit son équipement enrichi et bénéficie de plus de touches de chrome. En milieu de millésime, la forme de son toit est revue (plus droite) et une boîte manuelle à 4 rapports (fabriquée par Ford Angleterre) est disponible en option. La production de ce modèle baisse à 17 011 exemplaires. Qu’importe, Ford a de grands plans pour la Futura pour 1963.
La gamme Falcon est scindée en trois séries pour 1963 : de base (2 variantes), familiales (5 variantes) et Futura. Cette série comprend 6 variantes, y compris le nouveau cabriolet. À l’extérieur, on retrouve une nouvelle grille et à l’intérieur, une nouvelle planche de bord. La boîte manuelle à 4 rapports est offerte sur les familiales. Mais c’est en milieu de millésime, en février 1963, que la recette Iacocca prend vraiment forme et que la Falcon va définitivement monter en gamme avec l’ajout d’un moteur V8 et l’introduction des modèles Futura Sprint, en coupé ou en cabriolet. Le V8 est une version réalésée à 260 pc (4,3 litres) du 221 pc (3,6 litres) conçu pour la Fairlane (présentée en 1962) et utilisant des techniques de construction similaires au 6 cylindres de la Falcon. Ici, il développe 164 chevaux, ce qui donne à la Falcon une petite aura de sportivité, notamment avec la boîte manuelle. Cette aura est définitivement présente dans les modèles Sprint, qui viennent de série avec le V8, un échappement plus libre, une suspension renforcée, des freins plus gros, un compte-tours, un volant sport et des enjoliveurs de roue à rayon. Là, nous sommes loin de la vocation originale de la Falcon… D’autant qu’une Falcon Sprint se permettra de finir à la deuxième place du rallye de Monte-Carlo 1964. Grâce à la Sprint, toute la base mécanique est là pour le bébé de Lee Iacocca, qui sera dévoilé le 17 avril 1964 : la Mustang.
L’année modèle 1964 marque le premier restylage profond de la Falcon. L’empattement reste le même mais les dimensions augmentent très légèrement, ainsi que le poids. Les lignes sont devenues plus anguleuses et la planche de bord est complètement revue. Le nombre de variantes évolue peu et les mêmes carrosseries sont offertes. Un nouveau 6 cylindres de 200 pc (3,3 litres) développant 116 chevaux est proposé en option pour les familiales et les modèles commerciaux. On n’observe pas de changement pour le V8. L’année suivante, de simples ajustements sont faits dans les listes d’équipements en revanche, ça bouge du côté des moteurs : le 144 pc disparaît, le 170 pc devient le moteur de base, le 200 pc est disponible sur tous les modèles sauf la Sprint et le V8 de 260 pc est remplacé par un 289 pc (4,7 litres) développant 200 chevaux.
Après le pic de 1961, les ventes commencent à baisser régulièrement. À cela, plusieurs facteurs. La croissance est repartie de plus belle dans les années 60 et l’économie d’essence n’est plus au goût de jour. Et puis, la Falcon souffre de la concurrence interne de l’intermédiaire Fairlane (reposant sur une plate-forme allongée de Falcon et lancée en 1962) et de la Mustang. Pourtant, Ford décide de continuer l’aventure, mais avec un bon recadrage.
Retour aux basesPour 1966, les Falcon et Fairlane sont redessinées simultanément. Cette fois-ci, c’est la Fairlane qui est développée en premier. Elle repose toujours sur l’architecture de la Falcon 1960 mais elle est renforcée et sa baie moteur est conçue pour accueillir des gros blocs (le lancement de la Pontiac GTO en 1964 a signalé le départ de la course à la puissance). Ensuite, la Falcon devient une Fairlane en version réduite. L’empattement passe de 109,5 à 110,9 pouces (2,82 mètres) et 113 pouces pour les familiales (2,87 mètres). Les carrosseries cabriolet, hardtop et familiale à deux portes disparaissent. Le nouvel extérieur a des lignes plus souples avec un petit décroché au niveau de la vitre latérale arrière. Il n’a y plus que deux séries : de base (2 portes, 4 portes et familiale 4 portes) et Futura (mêmes variantes avec en plus un coupé Sport). Le choix des moteurs n’évolue pas par rapport à 1965 : 170 pc de base (105 chevaux), 200 pc de série sur les familiales et coupé Sport (120 chevaux, en option sur les autres) et V8 289 pc (200 chevaux) en option pour tout le monde. Clairement, la Falcon a retrouvé ses racines de modèle économique. Rien à faire, les ventes continuent de baisser...
Et cela ne s’arrange pas pour le millésime 1967, où la production connaît une réduction drastique, en grande partie à cause d’une grève dans les usines. À part l’ajout d’une déclinaison de 225 chevaux du V8 et quelques ajustements esthétiques, il ne se passe pas grand-chose cette année-là. Une nouvelle grille avant, des feux arrière plus carrés et une planche de bord revue distinguent le modèle 1968. Mécaniquement, le V8 de 225 chevaux et la boîte manuelle à 4 rapports sont supprimés et les moteurs restants voient leur puissance réduite de 5 chevaux. Un V8 de 302 pc (4,9 litres) développant 220 chevaux remplace le 289 pc pour 1969 et c’est à peu près tout. Car Ford se prépare au dévoilement d’un nouveau modèle d’entrée de gamme pour mars 1969 : la Maverick. La Falcon fait une dernière apparition (la carrosserie, car le nom va rester encore un petit peu)pour le millésime 1970. Le 6 cylindres 200 pc devient le moteur de base et la version coupé Sport est rayée du catalogue. La production du modèle est arrêtée en décembre 1969 pour laisser de la place à la populaire Maverick, dont la gamme se développe. De plus, Ford s’apprête à présenter une nouvelle sous-compacte pour 1971 : la Pinto. Mais ceci est une autre histoire...
Le mystère du demi-millésimePourtant, le nom de Falcon fait de la résistance. Pour une raison encore difficile à comprendre, il réapparait en milieu d’année modèle 1970 pour remplacer la Fairlane 500, modèle de base de la gamme intermédiaire, maintenant dominée par la Torino. Elle est disponible en 2 portes, 4 portes et familiale et peut recevoir des moteurs allant du tranquille 6 cylindres en ligne de 250 pc (4,1 litres, 155 chevaux) au bouillant 429 pc (7,0 litres) générant 360 chevaux ou 370 avec l’option Ram Air. Elle ne restera sur le marché que 6 mois et sera produite à 67 053 exemplaires. À partir de là, c’est la fin définitive du nom Falcon… en Amérique du Nord.
L’héritage de la Falcon Bien qu’étant une simple voiture économique, la Falcon est très importante dans l’histoire de Ford. En plus d’avoir été produite à 2,85 millions d’exemplaires en Amérique du Nord, elle a connu le succès dans d’autres parties du monde. Sous sa carrosserie originale (mais régulièrement restylée), elle sera vendue en Argentine de 1962 à 1991 (494 209 exemplaires). En Australie, elle est produite et commercialisée dès 1960 et deviendra un grand succès local. Lorsque Ford USA arrêtera le modèle en 1970, les Australiens continueront de le développer pour leur marché. Pas moins de 7 générations y seront fabriquées jusqu’en 2016 (y compris les fameux utes). Mais ce n’est pas tout, car la structure monocoque de la Falcon a servi de base à de nombreux autres modèles nord-américains. Les premiers utilitaires Econoline reposent sur un châssis de Falcon et sont offerts sous ce nom de 1961 à 1967. Les Ford Fairlane (de 1962 à 1970), Torino (1968 à 1971), Maverick (1970 à 1977), Granada (1975 à 1980), Mustang (1964 à 1973) et Ranchero (1960 à 1971) reposeront toutes sur une version plus ou moins modifiée de la plate-forme de la Falcon originale. Et c’est sans compter les variantes Mercury (voire Lincoln avec la Versailles, de 1977 à 1980)! Cela fait des millions et des millions de véhicules sur près de 20 ans. L’investissement initial sur une auto compacte à laquelle peu de gens chez Ford croyaient au départ s’est avéré extrêmement rentable à long terme. Comme quoi, des fois, l’économie, c’est payant!
Aparté : Frontenac, la marque canadienne qui n’a duré qu’un anDès le début du développement de la Falcon, il est prévu une version pour la marque Edsel. Cette variante repose sur un empattement allongé et possède une esthétique un peu plus travaillée que celle de la Falcon. Elle doit être lancée en même temps que cette dernière. Mais le 19 novembre, le couperet tombe sur Edsel et Ford annonce la disparition complète de la marque. Les plans sont chamboulés et la compacte Edsel finira chez Mercury avec un lancement en mars 1960 sous le nom de Comet (on retrouve encore des feux arrière similaires à ceux de l’Edsel 1960). Au Canada, afin de donner un modèle compact au réseau Mercury-Meteor, la direction décide de démarrer une marque à part entière : Frontenac.
La Frontenac se distingue principalement par sa calandre (deux grilles pointant vers un cercle de chrome central décoré d’une feuille d’érable), ses lignes chromées sur les ailes arrière, des feux arrière plus petits et des feuilles d’érable que l’on retrouve sur le couvercle du coffre, les enjoliveurs de roue et le volant. Pour le reste, c’est du pur Falcon. Le calendrier de présentation suit celui des Falcon (berlines 2 et 4 portes en octobre et familiales 2 et 4 portes en décembre). Le public canadien réagit bien à cette nouveauté : 9 536 exemplaires sont fabriqués à l’usine d’Oakville, en Ontario (2 789 berlines 2 portes, 4 631 berlines 4 portes, 725 familiales 2 portes, 1 391 familiales 4 portes). En comparaison, Ford du Canada a produit 17 152 Falcon durant ce millésime. La Frontenac se permet même d’être mieux vendue chez nous que les Corvair et Valiant. Mais l’arrivée de la Comet rend la Frontenac redondante et la décision est prise de supprimer la marque après seulement 12 mois. Aujourd’hui, c’est une véritable rareté.
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Source : GuideAutoWeb.com, par Hughes Gonnot
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