Dans l’histoire de l’automobile, peu de véhicules peuvent se vanter d’avoir sauvé leur constructeur de la faillite à eux tous seuls. Aujourd’hui, c’est plutôt dur à imaginer mais c’est pourtant le cas des Aries et Reliant, les fameux K-cars. Leur importance dans l’épopée de Chrysler est telle que l’on aurait pu renommer la compagnie Khrysler!
L’histoire de Chrysler est une montagne russe avec des hauts parfois très hauts et des bas souvent très bas. Nous commençons sur un bas très, très bas. Lynn Townsend a été l’artisan de la croissance, notamment à l’international, de Chrysler dans les années 60. Cependant,ses politiques ont aussi créé de nombreux problèmes, en particulier ses fameuses sales banks. Au lieu de produire des autos sur commande, de la part des clients ou des concessionnaires, la direction de Chrysler faisait tourner les usines à plein régime et forçait les ventes à chaque fin de mois. Résultat, les voitures s’entassaient dans des stationnements durant des semaines (certaines demandaient plusieurs centaines de dollars de remise en état alors qu’elles étaient supposément neuves). Mais l’autre aspect pervers de ces banques était une déconnexion totale entre Chrysler et ses clients. En 1975, Townsend quitte le navire et c’est John Riccardo qui le remplace.
En avant la traction !Et le navire prend justement l’eau de toute part. Le duo Dodge Aspen / Plymouth Volare, lancé en octobre 1975 pour le millésime 1976, devait remettre la compagnie à flot. Mais à cause d’une mise au point bâclée, les deux modèles acquerront le titre de voitures les plus rappelées de l’histoire. Les coûts de garantie explosent et l’image de la compagnie est encore un peu plus ternie. Riccardo fait les comptes et réalise dès 1977 qu’il ne pourra pas financer le développement de nouveaux modèles. Il contacte l’administration Carter pour organiser un sauvetage économique mais celle-ci fait la sourde oreille.
Le seul rayon de lumière dans toute cette grisaille, c’est la présentation des Dodge Omni / Plymouth Horizon en décembre 1977 pour le millésime 1978. Basées sur la plateforme L, ce sont des tractions avant modernes issues d’un développement commun avec les filiales européennes. Elles offrent une tenue de route efficace et un habitacle spacieux. Elles obtiendront le titre de « Voiture de l’année 1978 » de la part du magazine Motor Trend. Le fait qu’il s’agisse de traction avant est extrêmement important pour la suite des choses. Chez la concurrence américaine, cette technologie n’arrivera chez General Motors qu’en 1980 (Chevrolet Citation et les X-Body) et en 1981 chez Ford avec l’Escort.
Le duo de chocRevenons maintenant un peu en arrière, chez Ford. Au milieu des années 70, la relation entre Lee Iacocca (président de Ford depuis 1970) et Henry Ford II (PDG de la compagnie) n’est plus au beau fixe. HFII trouve que Iacocca en mène large dans la société alors que ce n’est pas son nom qui est inscrit sur les murs. Toutefois, Iacocca parvient à générer du profit, alors il reste en place. L’une des premières victimes collatérales de cette tension entre les deux hommes est Hal Sperlich, responsable de la planification et l’un des bras droits de Iacocca. Tous les deux poussent pour une sous-compacte traction avant prévue pour 1979 ou 1980. Mais Henry Ford II n’en veut pas. Sperlich continue de pousser et, en novembre 1976, HFII décide de le virer. Selon plusieurs observateurs, c’est aussi une façon d’envoyer un message à Iacocca et de tenter de l’isoler. Sperlich ne restera pas sans travail très longtemps et deviendra vice-président responsable de la planification produit et du design chez Chrysler en mars 1977.
Là, l’un de ses premiers projets est le remplacement des Aspen et Volaré, décidé par Riccardo à l’automne 1976. Dans un premier temps, deux clans s’affrontent : ceux qui veulent rester à la propulsion et ceux qui veulent passer à la traction avant. Finalement, c’est cette dernière option qui gagne car elle est vue comme la voix de la modernité même si la propulsion était moins chère à développer.
Pendant ce temps, les tensions entre HFII et Iacocca montent d’un cran et atteignent leur paroxysme à l’été 1978 et le 13 juillet Iacocca est remercié. Pour expliquer sa décision à Iacocca, Ford lui aurait tout bonnement déclaré : « Well, sometimes you just don't like somebody» (Eh bien, parfois, on n’aime simplement pas quelqu’un). Dès lors, Iacocca est courtisé par plusieurs compagnies. Mais très vite, Chrysler est la société qui l’intéresse, notamment grâce à la présence de Sperlich. Après de rapides négociations, un accord est trouvé. Dans son autobiographie, Lee Iacocca raconte sa venue chez Chrysler de la façon suivante : « Le 2 novembre 1978, le Detroit Free Press affiche deux titres : Les pertes de Chrysler sont les pires jamais enregistrées et Lee Iacocca rejoint Chrysler. Le jour de mon arrivée, l’entreprise avait annoncé une perte de près de 160 millions de dollars au troisième trimestre, le pire déficit de son histoire ». Il ne se doute pas dans quel état est la compagnie. Il dira plus tard à Sperlich que s’il l’avait su, il n’aurait jamais accepté ce poste.
Pensées pour le futurLorsque Iacocca arrive, le développement des K-cars (un nom de plateforme choisi sans véritable signification) est déjà bien avancé. L’ingénieur en chef du projet est Sid Jeffe sous la direction de Dick Vinning, tandis que le style (c’est un bien grand mot…) est réalisé sous la direction de Richard Macadam.
Les trains roulants sont dérivés de ceux des Omnirizon (suspension McPherson à l’avant, bras tirés avec traverse carrée à l’arrière), tout comme les boîtes de vitesses qui sont renforcées pour le nouveau moteur 2,2 litres. Développé par l’équipe de Willem Weertman (un ingénieur motoriste qui a également travaillé sur le Slant 6 et le V8 Hemi 426 pc de 1964), il produit 84 chevaux à 4 400 tr/min et 111 lb-pi à 2 800 tr/min grâce à un carburateur à contrôle électronique. Parfois appelé Trans-4, il est fabriqué à l’usine de Trenton, dans le Michigan. À part quelques ennuis de joint de culasse au début, c’est un bloc qui va s’avérer assez fiable. Sous ses différentes versions (2,2 L et 2,5 L avec ou sans turbo), il déploiera jusqu’à 224 chevaux et sera un incontournable des gammes de Chrysler tout au long des années 80 et 90.
Dès le départ, le châssis est conçu pour être adaptable et pour pouvoir servir de base à d’autres modèles. L’accent est mis sur l’habitabilité pour 6 adultes et leurs bagages, un facteur d’achat très important. Lorsque l’on compare les cotes intérieures entre une Aspen 1976 et une Reliant 1981, on constate que l’espace est similaire pour le modèle le plus récent mais avec une longueur totale réduite de près de 64 centimètres.
La réduction substantielle du poids et le moteur de nouvelle génération vont permettre d’obtenir des cotes de consommation intéressantes (9,4 L/100 km en moyenne et 5,7 L/100 km sur l’autoroute selon l’EPA), un élément qui va s’avérer déterminant pour les ventes.
Les bijoux de famillePendant ce temps, la situation de Chrysler s’empire. La compagnie est au bord du dépôt de bilan et relance l’option d’un sauvetage par le gouvernement américain. En décembre 1979, Lee Iacocca se présente devant une commission du Congrès avec un ambitieux plan sur 5 ans. Il doit obtenir des concessions de la part des syndicats et des équipementiers. Il a déjà réalisé des coupes importantes et devra en faire encore d’autres. Mais s’il y a un secteur de l’entreprise où il n’a touché à rien, c’est le développement des K-cars. Car pour lui, c’est LE joyau de la compagnie et il veut s’assurer que l’auto soit compétitive dès le départ. Lorsqu’il en dévoile les plans devant les élus, il déclare : « Voici le futur de Chrysler ».
Iacocca va se battre bec et ongles pour décrocher un prêt garanti par le gouvernement de 1,5 milliard de dollars. Les conditions seront nombreuses avant que le Congrès ne signe l’ordonnance : démission de l’ancienne direction (Riccardo s’en va et c’est Iacocca qui aura seul les rênes de l’entreprise), concessions salariales de 475 millions du syndicat UAW et de 125 millions de la part de la direction entre autres.
Lancement raté… mais réussiLes sites de production de Jefferson Avenue, à Detroit, et de Newark, dans le Delaware, sont remis à niveau pour la fabrication des nouveaux modèles. Pas moins de 100 millions de dollars sont investis sur la robotique rien qu’à l’usine de Jefferson Avenue. Le 8 août 1980, le premier exemplaire de série (une Plymouth Reliant jaune) sort des lignes et les premiers véhicules arrivent en concession le 2 octobre 1980 pour le millésime 1981.
Par contre, le lancement ne se fera pas sans difficulté. La compagnie avait besoin de 36 000 voitures le jour J mais elle n’en avait que 10 000 à cause de problèmes de production. Ensuite, la direction de Chrysler, poussée par une volonté de rentabilité rapide, fera en sorte que la majorité de ces autos soient des versions tout équipées, très optionnées. Si les clients venaient en nombre dans les concessions, beaucoup repartaient sans passer commande, repoussés par les tarifs bien plus élevés que ceux de base annoncés dans les publicités. Après un démarrage lent, les ventes vont commencer à décoller grâce à une meilleure répartition de la production.
Car il faut dire que l’accueil de la presse est plutôt positif envers les K-cars. Le magazine Motor Trend lui attribue le titre de « Voiture de l’année 1981 », trois ans après les Omnirizon. Dans son édition de 1981, le Guide de l’auto apprécie l’habitabilité, la tenue de route, l’économie d’essence, le fonctionnement du moteur et la présence d’une version familiale. Il regrette par contre le manque de confort de la banquette de série, la finition acceptable mais inégale et l’absence de freins et de la direction assistée de série. L’essai se conclut par ces mots : « Dans l’ensemble, les voitures « K » de Chrysler font très bonne impression et on verra dans notre essai comparatif qu’elles offrent tout autant (sinon plus, sous certains rapports) que plusieurs modèles concurrents. Elles ont probablement toutes les qualités de base pour assumer la lourde tâche qui les attend, mais Chrysler se devra de corriger rapidement certaines lacunes qui pourraient les empêcher d’être appréciées à leur juste valeur ». Effectivement, passés les premiers petits bobos, les K-cars vont s’avérer relativement fiables et bien construites. Dans les pages qui suivent, le Guide présente un comparatif entre une Plymouth Reliant, une Ford Escort, une Chevrolet Citation et une Honda Accord. Si la Honda et la Chevrolet finissent ex aequo à la première place, la Plymouth n’est qu’à un demi-point derrière. L’Escort finit dernière, sans totalement démériter.
Les différences entre les Dodge Aries et les Plymouth Reliant se limitent aux grilles avant et aux feux arrière. Les gammes sont identiques ainsi que les prix de vente (de 5 880 à 7 254 dollars aux États-Unis et de 6 877 à 8 513 dollars au Canada). Trois niveaux de finition sont proposés : de base (2 et 4 portes aux É.-U. et seulement 2 portes au Canada), Custom et SE (2 portes, 4 portes et familiale), les différences étant essentiellement au niveau des finitions intérieures et extérieures (la SE familiale reçoit des panneaux de faux bois, par exemple), pas au niveau de l’équipement. Les Aries et Reliant peuvent être équipées comme des grandes, à condition de piocher dans la liste des options : régulateur de vitesse, six différentes radios (dont le système Premium avec un son de « salle de concert » d’une puissance de… 15 watts), dégivrage arrière électrique, air conditionné, sièges baquets, sièges électriques, suspension renforcée, toit ouvrant… Le groupe motopropulseur de base est le 2,2 litres couplé à une boîte manuelle à 4 rapports. Une boîte automatique à 3 rapports est disponible contre un supplément ainsi qu’un moteur 4 cylindres de 2,6 litres fourni par Mitsubishi et développant 92 chevaux à 4 500 tr/min et 131 lb-pi à 2 500 tr/min.
Habituellement, les constructeurs n’indiquent pas le nom des plates-formes dans leurs documents destinés à la clientèle. Ici, le logo K est fièrement montré en couverture des catalogues. Ce qui fait que les gens les appelleront régulièrement Aries K ou Reliant K ou tout simplement K-cars. C’est à ce moment que Lee Iacocca, en plus d’être le PDG de la compagnie, devient son porte-parole en participant à des publicités télévisées où il scande le slogan : « If you can buy a better car, buy it! » (Si vous pouvez acheter une meilleure voiture, achetez-là!). Apparemment, les campagnes aident puisque les Aries et Reliant réalisent leur meilleure année à leur lancement avec plus de 300 000 exemplaires produits (voir tableau de production ci-dessous). De plus, l’année 1981 finit par une bonne nouvelle : Chrysler n’a perdu « que » 475 millions de dollars. Bonne nouvelle, car le marché est en berne à la suite du second choc pétrolier de 1979 et que les mesures d’assainissement enclenchées par Iacocca semblent porter leurs fruits.
Kronologie des modèlesL’année modèle 1982 ne connaît que des changements techniques mineurs (suspensions retravaillées entre autres), ainsi qu’un nouvel emblème sur le capot et l’apparition d’une console centrale en option. Au Canada, un modèle 4 portes de base est ajouté à la gamme. L’année calendaire finit quant à elle sur une note très positive : un profit de 170 millions (certes réalisé en vendant la division militaire mais tout de même).
L’année suivante, une boîte manuelle à 5 rapports fait son apparition alors que le 2,2 litres voit sa puissance passer à 94 chevaux (taux de compression augmenté de 8,5 à 9,0:1). La gamme est modifiée : le niveau Custom n’est plus disponible que sur les familiales. Mais 1983 finit sur une note enthousiasmante : Chrysler dégage un profit de 925 millions de dollars! Lee Iacocca, qui désire se débarrasser de la tutelle gouvernementale le plus vite possible, rembourse les prêts avec 7 ans d’avance!
Les grilles et les feux arrière des modèles 1984 sont légèrement redessinés tandis qu’un nouveau tableau de bord à cadrans ronds est installé (apparemment, Iacocca détestait l’original et aurait demandé à ce qu’il soit changé le plus rapidement possible). Les moteurs sont revus (96 chevaux pour le 2,2 litres et 101 chevaux pour le 2,6 litres), les suspensions sont retravaillées et le réservoir passe de 13 à 14 gallons. Les Aries et Reliant connaissent leur deuxième meilleure année de leur histoire en termes de production. Intéressant lorsque l’on sait que Chrysler a ajouté de nouveaux modèles (nous y reviendrons) et que la concurrence n’a pas relâché la pression (notamment les Renault Alliance et Encore ou les Ford Tempo / Mercury Topaz).
Le premier véritable restylage a lieu en 1985 avec des optiques avant légèrement plus arrondies. À l’intérieur, de nouvelles commandes de climatisation font leur apparition. La finition LE remplace la Custom et est disponible sur les trois carrosseries. L’année suivante, ce sont les motorisations qui sont revues : le 2,2 litres reçoit une injection électronique (97 chevaux) et est accouplé de série à une boîte manuelle à 5 rapports tandis que le 2,6 litres Mitsubishi est substitué pour un 2,5 litres Chrysler. Jumelé d’office à une boîte automatique à 3 rapports, il développe 100 chevaux à 4 800 tr/min et 136 lb-pi à 2 800 tr/min. La liste des équipements de série et des ensembles optionnels est révisée.
Les vedettes du millésime 1987 sont les Dodge Shadow et Plymouth Sundance. Elles sont destinées à remplacer les Aries et Reliant mais ces dernières vont faire de la résistance. Les modèles SE sont supprimés tandis que les sièges baquets sont de série. Suite au succès des Dodge Omni et Plymouth Horizon America (des modèles à prix cassés vendus au Canada sous le nom d’Expo), Chrysler applique la même recette sur les Aries et Reliant pour 1988. Baptisées America chez les Américains, elles prennent chez nous le nom de… Canada. Chrysler parvient à faire baisser le prix de base à 9 757 CAD pour la seule version LE encore disponible en améliorant la liste des équipements de série et en simplifiant celle des options. La production réussit encore à se maintenir au-dessus des 200 000 exemplaires.
Malgré le lancement des Dodge Spirit et Plymouth Acclaim, le duo Aries / Reliant parvient à poser ses roues en concession en 1989, pour une dernière année. La version familiale est supprimée et le 2,5 litres remonte à 100 chevaux après être descendu à 96 en 1988. Pour leur neuvième année de présence sur le marché, la production reste au-dessus des 100 000 exemplaires.
Un héritage conséquentEn plus d’avoir permis à Chrysler de se redresser rapidement, les Aries et Reliant vont servir de base à de très, très… trop nombreux modèles dès 1982. On comptera des compactes (Shadow et Sundance), des intermédiaires (Caravelle, 600, Acclaim et Spirit), des coupés sport (Laser et Daytona), des modèles de luxe (New Yorker, TC by Maserati ou bien Imperial) et bien d’autres. Sans oublier bien sûr la vache à lait de la compagnie dans les années 80 et 90 : les minifourgonnettes Dodge Caravan, Plymouth Voyager Chrysler Town & Country. La plate-forme K sous ses différentes incarnations sera produite jusqu’en 1995 à 12,8 millions d’exemplaires! Mais cette incroyable adaptabilité rendra Chrysler à nouveau complaisant en matière de développement de nouveaux modèles et amènera la compagnie une autre fois proche du dépôt de bilan en 1992/1993. Mais ceci est une autre histoire…
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Source : GuideautoWeb.com, par Hughes Gonnot
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