Une Chrysler capable de battre une Ferrari Enzo, vous y croyez? Vous feriez bien. Cela a failli arriver pour de vrai.
Voici l’histoire d’une occasion manquée.
En comparaisonCommençons par une petite mise en contexte en présentant les chiffres de performances de quelques supercars de 2004 :
- Bugatti Veyron : 1001 chevaux; 0 à 100 km/h : 3,0 s; vitesse max : 406 km/h
- Ferrari Enzo : 660 chevaux; 0 à 100 km/h : 3,5 s; vitesse max : 350 km/h
- Ford GT : 500 chevaux; 0 à 100 km/h : 4,3 s; vitesse max : 300 km/h
- Mercedes McLaren SLR : 626 chevaux; 0 à 100 km/h : 3,8 s; vitesse max : 334 km/h
Portez une attention particulière à la Mercedes, nous allons la recroiser plus loin.
Idées de grandeurL’histoire de la Chrysler ME Four-Twelve débute durant le Salon de l’auto de Détroit, en janvier 2003. Chrysler vient d’y dévoiler l’époustouflante Dodge Tomahawk, une moto à 4 roues dont la partie centrale du châssis est un moteur V10 de Dodge Viper. À ce moment, l’équipe dirigeante de Chrysler se demande comment faire plus fort pour l’année suivante, en présentant quelque chose que personne n’attendrait de la part de Chrysler.
Et pourquoi pas un supercar capable d’aller chasser sur les terres de Ferrari? Le compte à rebours est lancé : il reste exactement 12 mois avant le prochain Salon de Détroit.
Un cœur allemandPour réaliser un tel engin dans un délai aussi court, pas question de créer un nouveau moteur. Et ça tombe bien car Mercedes-Benz, propriétaire de Chrysler à l’époque, a dans sa banque d’organes le V12 de 6,0 litres M120 vu sous le capot de la SL 600 et de la Pagani Zonda.
Pour faire bonne mesure, les ingénieurs de Chrysler vont lui greffer quatre turbos, entraînant la conception de nouvelles têtes de moteur, de nouvelles tubulures d’admission et d’échappement ainsi que l’utilisation d’un vilebrequin et de pistons renforcés. Le résultat final est impressionnant : 850 chevaux et 850 lb-pi de couple.
Cependant, Chrysler ne cherche pas qu’à présenter des chiffres qui font rêver. La marque vise dès le départ une possible commercialisation. C’est pour cela qu’elle développe avec la société d’ingénierie anglaise Ricardo une boîte à 7 rapports à double embrayage, une technologie encore relativement nouvelle à l’époque. Cette boîte est capable de réaliser ses changements de vitesse en seulement 200 millisecondes.
La partie châssis n’est pas en reste : la structure centrale combine la fibre de carbone et l’aluminium en nid d’abeille, les sous-châssis avant et arrière mélangent aluminium et acier alors que la carrosserie est en fibre de carbone. Les freins sont en carbone-céramique avec des étriers à 6 pistons à l’avant et 4 pistons à l’arrière. Et pour transmettre cette puissance au sol, on retrouve des pneus Michelin à haute performance en 265/35ZR19 à l’avant et 335/30ZR20 à l’arrière.
L’ensemble est capable de passer les normes de sécurité américaines tout en ne pesant que 1 310 kilos, ce qui donne un rapport puissance/poids de près de 650 chevaux par tonne. En comparaison, une Ferrari Enzo arrive « à peine » à dépasser les 480 chevaux par tonne.
Les lignes sont signées Brian Nielander, sous la direction de Trevor Creed, directeur du design de Chrysler. Les arêtes sont bien tranchées, les feux sont traités comme des joyaux et le capot reprend la thématique des stries, en vogue chez Chrysler à l’époque. En plus d’optimiser l’efficacité thermique (il faut bien refroidir les 4 turbos), l’auto est surtout dessinée pour générer un maximum d’appui. Ainsi, elle peut compter sur un aileron arrière actif, capable de se déployer de 100 mm, et un fond entièrement caréné afin d’améliorer la stabilité. Chrysler passera de nombreuses heures en soufflerie et mesurera un Cx de 0,358. La ME Four-Twelve est très basse (1,14 m) et très large (2,0 m).
Supercar ne veut pas dire dénuement et on retrouve à l’intérieur une climatisation automatique, un système audio haut de gamme, des sièges en fibre de carbone recouverts de cuir et un toit en verre.
Des essais prometteursComme prévu, la ME Four-Twelve est dévoilée au Salon de Détroit 2004. Le nom choisi est purement descriptif : ME pour Mid Engine (moteur central), Four pour les 4 turbos et Twelve pour le moteur à 12 cylindres. Les chiffres de performance annoncés font tourner les têtes : 0 à 60 mph en 2,9 secondes, 0 à 100 mph en 6,2 secondes, le quart de mille abattu en 10,6 secondes à 142 mph (228 km/h) et une vitesse de pointe à 400 km/h.
Chrysler précise que ce sont des estimations. Parce que c’est encore très théorique. Au Salon, Wolfgang Bernhardt, chef de l’exploitation de Chrysler, indique qu’un prototype roulant sera prêt pour l’été. La construction d’un deuxième véhicule, avec une esthétique et un intérieur simplifiés, est déjà en cours. La marque pense alors que la production pourrait commencer d’ici deux ans. Chrysler tient parole et, quelques mois plus tard, des journalistes peuvent conduire le prototype autour du circuit de Laguna Seca. C’est ce véhicule même qui fera la couverture du Guide de l’auto 2005!
Le développement a été réalisé sous la houlette de Dan Knott, le patron de SRT, la branche performance de Chrysler. Le moteur n’est pas encore à sa puissance maximale, la boîte de vitesses est mal calibrée, la suspension a besoin d’ajustements mais il apparaît clair que la marque semble pouvoir être en mesure de supporter les chiffres du Salon de Detroit. Dieter Zetsche, le PDG de Chrysler, parle du projet avec enthousiasme. Un comité est chargé d’en étudier la faisabilité. Toutes sortes d’estimations de prix et de volumes de production sont avancées dans la presse. Tout le monde est excité, on paraît y croire. Et puis…
Le couperetEt puis, début janvier 2005, Chrysler publie un communiqué de presse expliquant que la marque a décidé de ne pas produire la ME Four-Twelve en série en précisant qu’elle « coûterait des centaines de millions de dollars en développement et marketing ». Le supercar est perçu comme une distraction au moment où la compagnie, qui vient de lancer les 300 et Magnum, cherche à regagner des parts de marché. Ça, c’est la version officielle…
Officieusement, il se dit que la direction allemande de Mercedes-Benz n’a pas beaucoup apprécié la réalisation aussi rapide d’un véhicule capable de battre leur joyau, la Mercedes McLaren SLR, et aurait demandé que le projet soit purement et simplement annulé. Les nuages noirs commençaient à s’amonceler autour de la relation entre Mercedes et Chrysler. Le pire était à venir…
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Source : GuideAutoWeb.com, par Hughes Gonnot
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