Peu d’autos ont été autant associées à des chefs d’État et, plus généralement, à des gens riches et puissants que la Mercedes 600. À l’époque, c’était la voiture la mieux conçue, la mieux fabriquée et la plus chère du monde.
Impossible de parler de la Mercedes 600 sans citer une liste de propriétaires. D’un côté, vous avez de « charmants » personnages comme François Duvalier, Idi Amin Dada, Leonid Brejnev, Nicolae Ceausescu, Kim Jong-il, Saddam Hussein et Pablo Escobar. De l’autre, on retrouve John Lennon, George Harrison, David Bowie, Hugh Hefner, Elizabeth Taylor, Coco Chanel, Elvis Presley, Jack Nicholson et même trois papes!
L’argent n’a aucune importanceEn septembre 1963, les visiteurs peuvent découvrir la série W100, alias Mercedes 600 ou « Grosser ». L’objectif de Mercedes était de fabriquer la meilleure voiture de luxe du monde et pour cela, les ingénieurs ont reçu la consigne de ne pas regarder à la dépense et seulement d’atteindre le plus haut niveau de qualité. Ils sont donc partis d’une feuille blanche.
Le nouveau châssis est tellement rigide que, malgré la longueur, lorsque l’on place un cric pour soulever la roue avant, la roue arrière se soulève aussi.
Pour le motuer, ils conçoivent le premier V8 de la marque, le M100. D’une cylindrée de 6,3 litres, il est doté d’arbres à cames en tête et d’une injection mécanique multipoints Bosch. Il ne développe « que » 250 chevaux mais il est absolument increvable. Il est accouplé à une nouvelle boîte automatique à 4 rapports. Il sera plus tard installé dans la 300 SEL 6.3 (1968-1972) puis, en version réalésée avec l’injection électronique, dans la 450 SEL 6.9 (1975-1980). Chaque moteur est construit à la main puis passé sur un banc d’essai pendant quatre heures.
Mais surtout, le M100 est conçu pour entraîner le système hydraulique à haute pression, véritable cœur de l’auto. Sous une pression de 220 bars (3 200 psi), l’huile minérale commande les vitres, l’ouverture du coffre, l’ajustement des sièges avant et de la banquette arrière, l’assistance à l’ouverture et à la fermeture des portes et le toit ouvrant (optionnel). Cette solution peu commune est choisie parce que, grâce à des pressions élevées, le système peut fonctionner avec de petits éléments et est donc plus compact, plus silencieux et plus léger que les systèmes électriques qui existaient à l’époque. Il est extrêmement efficace (ne mettez jamais vos doigts sous un coffre qui se referme, vous pourriez les perdre) et aussi très fiable… s’il est correctement entretenu. Sinon, c’est le début d’ennuis sans fin!
La suspension est, quant à elle, pneumatique et offre trois niveaux de fermeté via un levier sur la colonne de direction. La hauteur peut être ajustée de cinq centimètres. On retrouve quatre freins à disque avec des circuits hydrauliques séparés entre l’avant et l’arrière. De plus, les freins avant ont droit à deux étriers chacun. Ce qui n’est pas de trop pour arrêter l’engin : le poids en ordre de marche varie entre 2 990 et 3 280 kilos. Vous avez dit « construite comme un tank »?
XL ou XXLLes lignes sont signées par le Français Paul Bracq, sous la direction de Freidrich Geiger. Bracq aura une carrière extrêmement prolifique et influente. Entré chez Mercedes en 1957, c’est lui qui réalisera les SL à toit pagode (W113). BMW le nomme directeur du design en 1970 et il établira les canons modernes de la marque en dessinant les premières Série 5 (E12), Série 3 (E21), Série 6 (E24) et Série 7 (E23). Puis, de 1974 à 1996, il travaillera chez Peugeot. Quant à Geiger, il a dessiné les 500K et 540K d’avant-guerre avant de réaliser le style de la 300 SL. Vous parlez d’une dream team!
Fait intéressant, la voiture ne sera jamais restylée durant sa carrière. Pourtant, au cours des années 70, Mercedes avait développé une refonte esthétique incorporant les parties avant et arrière de la Classe S (W116) ainsi qu’un nouvel intérieur. Malheureusement, à cause du premier choc pétrolier, les ventes ont sensiblement baissé après 1973, ne justifiant plus un tel investissement.
L’habitacle est évidemment à la hauteur. Pas question de placage en bois ici. Tous les éléments de ce matériau sont taillés dans la masse. On est dans le monde du sur-mesure. Sont disponibles réfrigérateur avant ou arrière, télévision, vitre de séparation, interphone, cuir ou tissu… tout ou presque est possible. Les passagers arrière peuvent commander la radio, et le klaxon est à deux niveaux : normal pour la ville et sirène paquebot pour la route (indispensable pour tasser les manants lorsque l’on a un pays à diriger).
La « gamme » offre deux longueurs d’empattement : courte (3,20 m) ou longue, dite Pullman (3,90 m, avec deux rangées de sièges à l’arrière). Les longueurs totales respectives sont alors de 5,54 et 6,24 m. La version courte sera de loin, si l’on peut dire, la plus produite : 2 190 exemplaires. Pour les Pullman, c’est plus compliqué : vous avez les versions 4 portes (304 exemplaires) et 6 portes (124 exemplaires). À ceci, il faut ajouter les versions à toit rétractable dites Landaulet. Il existe deux longueurs de toit décapotable : court (ouverture au-dessus de la banquette arrière) ou longue (ouverture au-dessus des deux rangées de sièges arrière, appellation Présidentiel). Seulement 59 Landaulet ont été construites : 32 Pullman 4 portes, 26 Pullman 6 portes et une seule à empattement court. Ce qui donne un total de 2 677 exemplaires.
Uniques !Et dans ce total, on peut encore distinguer quelques modèles particuliers. En août 1965, une version à deux portes est réalisée par le département d’ingénierie à des fins d’évaluations. En septembre 1965, le pape Paul VI reçoit une 600 Pullman Landaulet 4 portes avec des portières arrière allongées et, à la place de la banquette, un seul siège, ressemblant à un trône. À partir de 1971, une version blindée appelée « Special Protection » est ajoutée (n’oubliez pas l’imposante liste de chefs d’État) et sera produite à 43 exemplaires (26 courtes et 17 longues).
De toute façon, il existe tellement de variations possibles entre les longueurs, les toits, le nombre de portes, la finition intérieure et les couleurs qu’il est pratiquement certain que Mercedes n’a jamais construit deux 600 identiques.
Si le modèle est montré au public en septembre 1963, sa production ne démarrera que 12 mois plus tard, à l’usine de Sindelfingen. Chaque auto est fabriquée à la main et sur commande. Les États-Unis seront le plus gros marché (754 exemplaires) suivi de l’Allemagne (556 exemplaires). Loin derrière, on retrouve le Canada où 37 exemplaires seront vendus.
La dernière Mercedes 600 sortira des lignes le 9 juin 1981, après près de 17 ans de production. Cet exemplaire sera immédiatement envoyé au musée de la marque. La 600 n’aura pas de remplaçante directe et il faudra attendre 2002, avec l’introduction des Maybach 57 et 62, pour retrouver un tel niveau d’exclusivité chez Mercedes-Benz. Elle est l’un des modèles qui illustrent le mieux la philosophie des fondateurs de la marque, Karl Benz et Goettlieb Daimler : das beste oder nichts (le meilleur ou rien).
Aparté : le roi de la 600Karl Middelhauve, basé à Wausau dans le Wisconsin, est l’un des plus grands spécialistes de la restauration de Mercedes 600 au monde. Il en possède 11 et, après avoir travaillé sur près de 200 d’entre elles, il les connaît comme le fond de sa poche, particulièrement le système hydraulique, qu’il qualifie de cauchemar. Parmi ses faits d’armes, on peut noter la construction d’une réplique du coupé de 1965, l’installation d’un compresseur dans la 600 de Jay Leno ou bien la réalisation de deux camionnettes à la façon Chevrolet El Camino. Les puristes ont hurlé, mais les croquis de ces deux véhicules ont été signés par Paul Bracq lui-même après une rencontre à l’été 2004. « J’ai en parlé à Paul et trois semaines plus tard, j’avais les dessins dans ma boîte aux lettres », confiera-t-il au magazine Car and Driver.
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Source: GuideAutoWeb.com, par Hughes Gonnot
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