Le début des années 60 s’annonçait prometteur. En effet, Henry Ford II dévoila en 1962 la nouvelle politique de la Ford Motor Company : « Total Performance ». Et un beau concept pour l’illustrer ne pouvait pas faire de mal…
À cette époque, les cadres de Ford marchent sur des œufs. La débâcle d’Edsel (1958-1960) est encore fraîche dans toutes les mémoires. La nomination de managers plus jeunes, Lee Iacocca en tête, fera bouger les choses. La pression externe du marché accomplira le reste.
Gagner le lundi, etc.Vous connaissez l’adage. Suite à un grave accident en NASCAR, durant la Virginia 500 en mai 1957, l’AMA (Automobile Manufacturers’ Association) interdira en juin 1957 le support officiel des constructeurs à des équipes de course ainsi que l’utilisation de la puissance et de la vitesse dans les publicités. Plusieurs marques continueront cependant à soutenir officieusement des écuries. La demande du public s’avéra toutefois trop forte.
Finalement, Henry Ford II brisera l’interdiction en 1962 en s’engageant officiellement avec une équipe de NASCAR. L’idée derrière « Total Performance » n’était pas juste de s,impliquer dans l’ensemble des activités de course (drag, course sur route, Indy et, plus tard, Le Mans) mais de les dominer. Suivront alors des moteurs mythiques : 390, 427, 429…
Mais nous n’en sommes pas encore là. Pour personnifier cette nouvelle politique, Gene Bordinat, vice-président responsable du style, envisage un coupé sportif léger et ultramaniable. Son projet est soutenu par Herb Misch, vice-président chargé de l’ingénierie. Ils nomment Roy Lunn pour le développement technique et parmi les designers on retrouve John Najjar, Jim Sipple et Phil Clark. Au printemps 1962, le programme W-301 peut commencer.Roy Lunn est un Anglais entré chez Ford en 1953 pour être ensuite muté à Dearborn en 1958. Là, il sera l’ingénieur en chef de la Ford GT40 (1963-1964) ou de la Mustang Boss 429 (1968). Mais avant, il travaillera sur le projet Cardinal, une petite auto qui devait être placée dans la gamme en dessous de la Falcon. La Cardinal avait un moteur V4 et était une traction avant. Le modèle sera annulé peu de temps avant le début de la production, prévue pour le millésime 1963, à cause d’un mauvais contrôle des coûts.
Il sera transféré en Allemagne pour devenir la Ford Taunus P4. En 1971, Lunn quittera Ford pour Jeep où il travaillera, entre autres, sur les AMC Eagle et Jeep Cherokee XJ. John Najjar, quant à lui, réalisera de nombreux concepts Ford jusqu’en 1985, y compris la Lincoln Futura (alias la Batmobile de 1966). Enfin, Phil Clark travaillera pour Ford à Dearborn de 1962 à 1964, avant d’être muté en Angleterre où il signera les lignes de la Ford Capri.
100 joursLa voiture de sport doit être prête à l’automne, pour la saison des salons de l’auto, ce qui laisse à peine 100 jours à l’équipe pour compléter le projet. C’est pour cela qu’est choisie la construction d’un châssis tubulaire recouvert de panneaux d’aluminium. Lunn utilise logiquement le train roulant des Cardinal/Taunus P4 qu’il retourne pour le mettre en position centrale arrière.
Le moteur est un V4 ouvert à 60 degrés de 1,5 litre préparé dans deux configurations : route (carburateur simple, 89 chevaux et 89 lb-pi de couple) et circuit (carburateur deux corps, 109 chevaux et 99 lb-pi de couple). Il est refroidi par des entrées d’air sur chaque côté. La boîte de vitesses est une manuelle à 4 rapports. Les suspensions sont indépendantes aux quatre roues, la direction à crémaillère et les freins à disque avant sont complétés par des tambours à l’arrière.
Les lignes sont extrêmement compactes (2,29 m d’empattement; 3,92 m de longueur et seulement un mètre de hauteur) et le poids réduit (701 kilos, dont 46,9% sur l’avant). La proue pointue intègre des phares escamotables (à commande manuelle). L’intérieur est original avec des sièges fixes afin d’augmenter la rigidité de l’ensemble. Ce sont les pédales et le volant télescopique qui sont ajustables. Le passager bénéficie d’une barre de soutien.
Pour gagner du temps, c’est le carrossier Troutman and Barnes, de Culver City en Californie, qui assurera la construction. Cette compagnie est reconnue pour la fabrication de voitures de sport, notamment pour Chaparral et Scarab, ainsi que pour d’étonnantes conversions de modèles de série (dont une Porsche 911 4 portes en 1968 ou deux Porsche 914 pick-up en 1972). Les plans sont envoyés début juin 1962 et la voiture est livrée chez Ford fin septembre pour les tests finaux avant le dévoilement. Une version statique sans mécanique et avec une carrosserie en fibre de verre sera aussi construite.
Mustang !C’est le 7 octobre 1962 que le public du Grand Prix des États-Unis, sur le circuit de Watkins Glen, peut découvrir le concept Mustang Roadster. Pour l’origine du nom, deux théories s’affrontent : c’est soit John Najjar qui l’aurait choisi de par son amour des avions et notamment du chasseur North American P-51 Mustang ou bien c’est Phil Clark qui aurait développé ce thème dès ses années de formation au Art Center School of Design, en Californie. Ce dont on est sûrs, c’est que c’est bien Phil Clark qui a dessiné le logo du cheval au galop.
Ce jour-là, c’est le pilote Dan Gurney qui assurera la présentation dynamique autour du circuit, atteignant 180 km/h en pointe. La presse annonce alors que l’auto pourrait être produite en série, afin de concurrencer la Corvette. Dans son édition de janvier 1963, le magazine Car and Driver en effectue un essai (en configuration route) et conclut que « cette auto mérite d’être construite… et qu’elle fournira une précieuse inspiration à des constructeurs moins audacieux ». Ensuite, la Mustang Roadster sera présentée sur d’autres circuits ainsi que dans différents salons de l’auto nord-américains. Elle fera aussi le tour des campus d’universités pour attirer l’attention des futurs diplômés sur Ford (soit pour réaliser un achat soit pour aller y travailler) avant d’être montrée en Europe.
À son retour du Vieux Continent, l’auto échappera de peu au broyeur (destin alors traditionnel de nombreux véhicules concepts) pour être finalement donnée au Musée Henry Ford en 1975. Elle sera restaurée en 1980, pour célébrer le départ de Gene Bordinat à la retraite. Aujourd’hui, elle y est encore exposée.
L’héritageIl a souvent été écrit que ce concept était prévu pour être mis en production aux alentours de 2 500 dollars US et que Lee Iacocca s’y serait opposé. Rien n’est moins vrai. Tout d’abord à cause de la nature extrêmement « niche » de l’engin : stricte deux places, pas de coffre, pas de toit. L’absence de gros moteur n’aurait pas non plus aidé dans une Amérique accro aux V8. Ensuite, parce que la chronologie ne fonctionne pas.
C’est effectivement Lee Iacocca qui a créé la Mustang, avec le soutien du comité Fairlane (du nom du restaurant, le Fairlane Inn, où il se réunissait après les heures de bureau). Ce comité informel a pour but d’imaginer les produits de l’avenir. Ses membres analysent les données démographiques et réalisent que les baby-boomers vont bientôt être en âge d’acheter leurs premiers véhicules. À l’époque, les constructeurs développent des autos en quête de marché. Pour la première fois, il y a un marché en quête d’autos.
Fin 1961, les grandes lignes du projet sont fixées : prix de moins de 2 500 $, 4 places, personnalisation maximum, capot long, utilisation de la plate-forme de la Falcon pour réduire drastiquement les coûts (une obligation car beaucoup de gens en interne ne croyaient pas à la Mustang, toujours en rapport avec l’échec de l’Edsel) et présentation à l’Exposition universelle de New York, en avril 1964. Dès lors, le concept ne rentre pas dans les plans de Iacocca puisque son développement commence au printemps 1962.
Quel est alors son héritage? Tout d’abord et surtout, il y a le nom. Initialement, la voiture de série devait s’appeler un temps Torino puis Cougar. C’est finalement John Conley, de l’agence J. Walter Thompson, qui suggérera Mustang. Le fait qu’il ait déjà été utilisé par Ford en facilitera le choix. Pour créer le lien entre le concept et le modèle de série, Ford présentera au Grand Prix de Watkins Glen en 1963 le concept Mustang II, la Mustang Roadster devenant par conséquent Mustang I.
La Mustang II est assez proche de la version de route mais reprend les couleurs (blanc avec lignes bleues) de la Mustang I. Ensuite, il y a le logo. Enfin, deux éléments de design de la Mustang Roadster seront utilisés en production : les clignotants ronds en position basse à l’avant et les entrées d’air latérales derrière les portes (non fonctionnelles sur le modèle de série).
Malgré un impact très limité sur le modèle de production, la Mustang I aura parfaitement rempli son rôle de concept en permettant au public de se familiariser avec la nouvelle orientation de Ford. Elle marquera le point de départ d’une décennie glorieuse pour la compagnie à l’ovale bleu.
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Source : GuideAutoWeb.com, par Hugues Gonnot
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