Peu de modèles ont eu l’occasion de définir ou de redéfinir un segment. En se réinventant, c’est ce que la Grand Prix a réussi à faire et cela aura un impact sur le marché nord-américain dans les années 70, 80 voire 90. Derrière l’auto, il y a un homme… dont vous avez sûrement entendu parler car il a ensuite construit un certain coupé en acier inoxydable avec des portes papillon.
Au tout début des années 60, General Motors est bien embêtée : elle n’a rien pour contrer le succès de la Ford Thunderbird, qui vient de passer à 4 places lors de son renouvellement de 1958. Cela amènera au développement de la Buick Riviera 1963 au terme d’un concours interne. Le problème pour Pontiac, c’est que Buick était sûr de gagner dès le début. Il faut savoir qu’à cette époque, les divisions de GM sont bien plus autonomes et en compétition les unes avec les autres qu’aujourd’hui, et que Buick avait un grand besoin de véhicule image.
Mais Pontiac va de l’avant et crée pour le millésime 1962 la Grand Prix, qui est en fait une Catalina (modèle pleine grandeur reposant sur le châssis B-Body d’empattement de 120 pouces) avec une calandre et des décorations extérieures revues ainsi qu’un équipement complet et un V8 389 pc (6,4 litres) de 303 chevaux de série. C’est un peu juste, mais 30 195 exemplaires trouvent tout de même preneurs.
À partir de 1963, la Grand Prix trouve sa place sur le marché (voir tableau ci-dessous) tout en conservant la même recette : base de Catalina, style légèrement modifié, plus d’équipements et un V8 plus puissant que les modèles d’entrée de gamme. Mais à partir de 1966, les ventes baissent et au millésime 1968, la Grand Prix ne semble plus convaincre grand monde, même à l’intérieur de GM. Les designers détestent cette année modèle et, au sein de la direction de Pontiac, on commence à parler dès le début de 1967 d’arrêter ce produit.
Le B.A.-baMais pour le moment, dans les bureaux de style, les designers continuent leur travail comme d’habitude. À l’automne 1966, ils réalisent une maquette à l’échelle 1 sur base de châssis pleine grandeur B-Body prévu pour 1969. Si l’idée est de faire évoluer le style du modèle 1968, cette option semble ne pas satisfaire grand monde. Mais début 1967, Ben Harrison, responsable de la planification chez Pontiac, fait une suggestion qui va tout changer. Évidemment que la Grand Prix doit reprendre une base existante pour limiter les coûts et justifier sa présence dans la gamme! Mais personne n’a dit qu’il fallait absolument que ce soit le châssis B-Body. Pourquoi ne pas utiliser le châssis A-Body des modèles intermédiaires, c’est-à-dire les Tempest / Le Mans / GTO, qui vont être renouvelés pour 1968?
Le directeur général de la division s’empare de l’idée. Son nom? John Zachary DeLorean. Ex-ingénieur pour Chrysler, Packard et Pontiac, père spirituel de la GTO, futur directeur général de Chevrolet, « démissionné » de GM en 1973 avant de partir fonder sa propre compagnie qui produira la DMC-12 (nom de Zeus!). On le retrouvera en 1982 dans une chambre d’hôtel en compagnie d’agents du FBI et de 27 kilos de cocaïne. Avant tous ses déboires, DeLorean est une étoile montante chez GM. Il vient d’être nommé à la tête de Pontiac en 1965. Il a alors 40 ans. Ce qu’il veut, ce sont d’abord et avant tout des produits excitants. Mais le budget alloué pour la Grand Prix est maigre et un changement d’orientation du programme réduit le temps de développement pour la présentation au millésime 1969.
L’idée de base est simple. À partir de la cloison pare-feu jusqu’à l’arrière, il s’agit d’une A-Body coupé (qui repose initialement sur un empattement de 112 pouces). Mais, à l’avant de la cloison pare-feu, l’empattement est allongé de 6 pouces pour donner des proportions uniques à l’auto (pour marquer la différence, le châssis prendra le nom de G-Body). Pontiac se vantera dans sa brochure de 1969 d’avoir le plus long capot de l’industrie. C’est sous la direction de Jack Humbert que Wayne Vieira (lequel deviendra directeur du design de Saturn) et son équipe réalisent au printemps 1967 une première maquette en argile à l’échelle 1. Le tout en à peine deux semaines, un délai incroyablement court! DeLorean approuve immédiatement le modèle.
Avec un châssis allongé et une carrosserie originale, DeLorean doit trouver des moyens pour réduire ses coûts de production. Il passe alors un accord avec Pete Estes, directeur général de Chevrolet et ancien patron DeLorean lorsqu’il était à la tête de Pontiac. DeLorean lui montre la maquette de la Grand Prix et les deux s’entendent pour partager les coûts d’outillage du toit, ce qui permettra à Chevrolet de sortir sa propre personnal luxury car dès 1970, la Monte Carlo. C’est une tactique peu orthodoxe chez GM pour l’époque car, rappelez-vous, les différentes divisions sont en concurrence directe.
DeLorean va s’avérer le champion de la nouvelle Grand Prix et pousser tout le monde (ingénierie, production et fournisseurs extérieurs) pour que l’auto soit présentée à l’automne 1968.
Le meilleur des deux mondes… ou presqueCe qui fut fait. La Grand Prix sera introduite en septembre 1968, en même temps que les autres Pontiac (excepté la Firebird). C’est la première fois qu’elle est disponible au Canada, son rôle étant précédemment tenu dans la gamme Pontiac canadienne par la Grand Parisienne. La Grand Prix vient de série avec un 400 pc (6,6 litres) développant 350 chevaux couplé à une boîte manuelle à 3 rapports avec commande au plancher, des sièges baquets, une console centrale, une horloge électrique, une boîte à gant éclairée et des inserts en faux bois. D’autres moteurs sont également disponibles (voir tableau ci-dessous) ainsi qu’une boîte manuelle à 4 rapports et une boîte automatique à 3 rapports TH-400. En bonne auto américaine de l’époque, tout le reste est en option : direction assistée, freins à disque assistés, roues Rally II, vitres électriques, verrouillage central, dégivrage électrique, toit en vinyle, volant ajustable en hauteur, différentiel à glissement limité, compte-tours sur le capot (installé en concession), radio, régulateur de vitesse, vitres teintées, siège conducteur à réglage électrique, intérieur en cuir… Pour les amateurs de performances, un groupe d’équipement « Model SJ » est proposé (un nom inspiré par les Duesenberg des années 30). Il comprend le V8 428 pc 370 chevaux, les freins à disque, un différentiel arrière de 3,55:1 (boîte manuelle), une suspension à contrôle automatique de niveau, des pneus à flanc blanc, une instrumentation complète et des logos spécifiques.
L’accueil de la presse est excellent. Les lignes originales sont appréciées, tout comme la tenue de route. Henry Manney conclura son essai dans l’édition de juillet 1969 du magazine Road & Track par ces mots : « C’est une bien meilleure GT que certaines autres, pourtant célébrées, que j’ai conduites ». Le Guide de l’auto, dans son édition 1969, abonde dans le même sens et termine son essai d’un modèle à moteur 400 pc : « Étant donné son format, la Grand Prix ne peut avoir les prétentions d’une sportive et son comportement sur la route est celui d’une limousine confortable, lourde et stable. Une direction rapide et précise et des freins très adéquats la placent cependant au-dessus des grosses voitures de luxe reconnues ». Devant la réaction des journaux, Pontiac espérait vraiment recevoir le titre de « Voiture de l’année 1969 » du magazine Motor Trend mais la Grand Prix sera battue par la Plymouth Road Runner (il faut dire que la marque avait déjà remporté le titre en 1959, 1961, 1965 et 1968).
Le public est emballé. Par rapport à 1968, les ventes augmentent de 255% (voir tableau ci-dessous)! Clairement, Pontiac a su toucher la clientèle en offrant un style unique, une tenue de route décente, un bon confort, le tout avec un prix attractif (elle est moins chère que les Buick Riviera et Ford Thunderbird). Pour plusieurs observateurs de l’industrie, la Grand Prix vient de redéfinir le segment des personnal luxury car. À partir de là, tout le monde ou presque va copier la recette de Pontiac. À commencer par Chevrolet dès l’année suivante.
Le vent tourneLes années 70 commencent et une plus grande pression du gouvernement et des compagnies d’assurance pour mettre la sécurité et la pollution au centre des préoccupations des constructeurs va considérablement changer la donne. L’incroyable décade de Pontiac, avec une renaissance débutée en 1959 alors que la marque était sur le point de disparaître, va bientôt se terminer… mais personne ne le sait encore. Premier signe : en février 1969, DeLorean quitte Pontiac pour prendre la tête de la division Chevrolet, un mouvement perçu par certains comme la ligne droite vers la direction de GM. Il est remplacé par James McDonald. Ce dernier n’est pas un amoureux du produit et cela va se voir dans les années qui suivent.
En attendant, la Grand Prix entame sa seconde année sur le marché sans connaître de grands changements. La calandre est revue (grille à barres verticales) tout comme les feux arrière et les poignées de porte affleurantes sont redessinées. La plus grosse nouveauté de l’année est le remplacement des 428 pc optionnels par un 455 pc (7,5 litres) High Output de 370 chevaux (les 400 pc continuent sans changements). Il est moins puissant mais nettement plus coupleux. Les ventes de 1970 baissent dramatiquement (-42%), nul doute à cause du lancement de la Monte Carlo, moins prestigieuse, certes, mais aussi vendue 22% moins cher et écoulée à 145 976 exemplaires.
La Grand Prix bénéficie d’un restylage significatif pour 1971. La calandre (dessinée par le styliste Gordie Brown) intègre des phares simples et une grille à deux niveaux, séparée par le pare-chocs. Les lignes sont plus saillantes, tant à l’avant qu’à l’arrière. La partie arrière en pointe se fait l’écho de l’avant. Les selleries sont revues et l’option cuir, qui n’avait jamais été très populaire, est retirée. La version de base prend le nom de J dans la littérature du constructeur tandis que le groupe SJ est toujours proposé. Côté technique, les freins à disque et la direction assistée viennent de série alors que les moteurs voient leurs taux de compression baisser afin de pouvoir utiliser de l’essence ordinaire (les puissances s’en ressentent évidemment, voir tableau ci-dessous). À partir de mars 1971, les boîtes de vitesses manuelles ne sont plus offertes (elles ne représentaient à peine que 1% des ventes) et la boîte automatique TH-400 vient de série (Pontiac ajustera ses prix en fonction). Tout cela ne suffit pas à motiver les acheteurs et les ventes baissent encore (de 11%, mais elles sont encore largement au-dessus du niveau de 1968).
La Grand Prix aurait dû être entièrement renouvelée pour 1972. Malheureusement, une grève de l’UAW à la fin de 1970 et les nouveaux mandats fédéraux en matière de pare-chocs obligeront GM à repousser ses plans d’un an. C’est pourquoi les changements de l’année modèle sont finalement assez restreints : nouvelle calandre, sellerie revue, voyant de fermeture de ceinture de sécurité à partir du 1er janvier 1972 et allumage électronique de série. Les puissances baissent sensiblement mais c’est à cause de l’obligation d’annoncer des chiffres nets (avec les accessoires installés sur le moteur) plutôt que bruts. La production augmente de 58% par rapport à 1971, ce qui augure bien pour la suite des choses.
L’ultime Grand Prix!C’est par ce slogan que le catalogue présente la Pontiac Grand Prix SSJ fabriquée par Hurst. On connaît surtout la compagnie Hurst pour ses leviers de vitesses et sa collaboration avec Oldsmobile pour les Hurst/Olds (à partir de 1968 et jusqu’en 1984), mais elle a également apposé son nom sur des produits AMC, Jeep et Chrysler (la rarissime 300 H de 1970). Hurst et Pontiac travaillent ensemble depuis 1965, année où la marque a commencé à installer des leviers de vitesses de performance. Hurst décide en 1970 de créer une série spéciale, basée sur la Grand Prix.
Pour obtenir une SSJ (un nom aussi dérivé de chez Duesenberg), le client doit commander chez Pontiac une Grand Prix selon les spécifications suivantes : modèle J (les modifications en SSJ sont incompatibles avec le modèle SJ); couleur blanc cameo ou noir starlight; intérieur noir, ivoire ou sandalwood; sélectionner les options obligatoires (rétroviseurs couleur carrosserie, pneus à flanc blanc, roues Rally II à moins que le client désire commander des roues chez Hurst) et choisir ou pas les options recommandées (roue de secours de taille réduite, ensemble Tenue de route). Hurst n’a pas de demandes spécifiques concernant la mécanique. Il reste à sélectionner les options ajoutées chez Hurst : roues Polycast, American Racing ou Cragar, levier de vitesses Hurst, amortisseurs ajustables, ordinateur de bord, alarme, télévision noir et blanc Sony et même un téléphone mobile. Hurst précise qu’il est possible d’ajouter encore d’autres options sur commande spéciale.
Ensuite, la voiture est livrée chez Hurst Research Corporation à Southfield, dans le Michigan. Là, la compagnie installe un toit ouvrant, une finition en vinyle de la partie arrière du toit et les équipements commandés puis réalise la peinture ainsi que les pinstripings dorés, typiques de Hurst à cette époque. Une fois qu’elle est terminée, le client peut venir chercher son auto à Southfield ou organiser une livraison à domicile (contre supplément). Les historiens spécialistes de Hurst expliquent qu’il existe une légère confusion dans les chiffres de production mais les nombres qui reviennent régulièrement sont 272 exemplaires en 1970, 157 en 1971 et 60 en 1972. Dans tous les cas, le programme aura connu un succès modeste et les SSJ sont aujourd’hui extrêmement rares.
Le meilleur est à venirEn seulement 4 ans de présence sur le marché, la Grand Prix G-Body aura été produite en quantité presque égale (328 522 exemplaires) que les Grand Prix des 7 années précédentes. Au cours des années 70, alors que la performance est en recul et que le luxe est mis de l’avant, nombre de constructeurs choisiront une approche similaire : la Monte Carlo sera un énorme succès pour Chevrolet tout comme la Cutlass Supreme pour Oldsmobile, la Cordoba sauvera la marque Chrysler et même la Thunderbird passera sur un châssis intermédiaire en 1977. Quant à la Grand Prix, elle sera renouvelée en 1973 et cette génération, produite jusqu’en 1977, battra des records de ventes et connaîtra la meilleure année de toute l’histoire du modèle (1977). Quand on tient la bonne recette…
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Source : GuideAutoWeb.com, par Hughes Gonnot
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