Parmi tous les noms de modèles dans l’histoire d’Alfa Romeo, il y en a un qui sort drôlement du lot.
Giulia, Guilietta, Alfetta, Alfasud, Montreal… que vient faire le nom de la métropole québécoise dans cette liste de modèles Alfa Romeo des années 70 ?
55 millions de souriresLe 27 avril 1967 s’ouvrait l’Expo 67 sous le thème « Terre des hommes ». Parmi les premières attractions que pouvaient admirer les visiteurs, dans le pavillon « L’homme à l’œuvre » centré autour de la technologie, se trouvaient deux coupés blanc perle aux lignes sensuelles. Ils avaient été commissionnés par les organisateurs de l’exposition à Alfa Romeo pour exprimer « la plus haute ambition de l’homme en matière d’automobile ».
La marque italienne n’avait eu que neuf mois pour réaliser le projet. Dès lors, il fallait évidemment utiliser un maximum de pièces existantes : plate-forme et trains roulants du coupé Giulia Sprint GT et moteur 1,6 litre de la Giulia TI. Pour le style, Alfa Romeo se tourne vers le carrossier Bertone. C’est Marcelo Gandini qui signe les lignes. Alors à peine âgé de 28 ans, il est devenu une vedette grâce au travail qu’il a effectué sur la Lamborghini Miura, présentée quelques mois plus tôt. Il réalise un coupé 2+2 bas avec des phares à moitié dissimulés derrière des persiennes et des entrées d’air à l’arrière qui font croire que le moteur est en position centrale (ce qui n’est pas le cas, il est bien à l’avant comme dans toutes les Giulia). On retrouve aussi des petites touches de Miura, notamment dans le traitement des portes.
Il a souvent été écrit que c’est devant la réaction enthousiaste des près de 55 millions de visiteurs face au coupé, qui n’est alors pas encore nommé, que les dirigeants d’Alfa Romeo auraient décidé de le produire en série. En réalité, avant même que les deux autos ne soient expédiées par avion vers le Québec, il est destiné à être fabriqué pour remplacer la 2600 Sprint et l’utilisation d’une version « civilisée » du moteur V8 de la 33 Stradale est déjà prévue. Quant au nom, il est resté après que les gens aient pris l’habitude de l’appeler « le coupé Montréal ».
Trois ans plus tard…Le modèle de série est présenté au Salon de Genève, en mars 1970. Pourquoi Alfa a-t-elle mis trois ans pour développer un coupé qui semblait être prêt? La première raison est l’installation du V8 qui oblige à relever le capot et la ligne de caisse.
Ainsi, si l’esprit original des coupés de l’Expo 67 est préservé, toutes les lignes sont nouvelles : calandre modifiée, apparition d’une prise d’air NACA sur le capot (non fonctionnelle), passages de roue bombés sur les ailes, nouveaux feux arrière. Les persiennes de phare persistent et sont maintenant escamotables pour répondre aux normes d’éclairage. C’est Gandini lui-même qui se charge de la transition vers la série. La deuxième raison est que les ressources limitées de l’entreprise d’État (Alfa avait été nationalisée en 1933 avant d’être vendue à Fiat en 1986) étaient essentiellement investies dans le développement de l’Alfasud et la construction d’une usine pour la produire, à Pomigliano d’Arco dans le sud de l’Italie.
Le morceau de bravoure est bien évidemment le V8. Et ce dernier vient avec un pédigrée sportif. Les Type 33 ont couru en championnat du monde de voitures de sport entre 1967 et 1977, remportant de nombreuses victoires. Le V8 à quatre arbres à cames en tête conçu par Autodelta, la branche compétition d’Alfa Romeo, pour les 33 faisait initialement 2,0 litres et délivrait 230 chevaux à 8 800 tr/min. Ce bloc évoluera jusqu’à 3,0 litres (520 chevaux à 12 000 tr/min) et aura une version turbo (2,2 litres; 640 chevaux à 11 000 tr/min). Pour la Montreal, il est profondément revu pour le rendre utilisable au quotidien. La course et l’alésage sont augmentés pour faire passer la cylindrée à 2,6 litres, le vilebrequin à plat (flatplane) devient transversal (crossplane), l’injection Lucas fait place à une injection mécanique SPICA (déjà vue sur la 33 Stradale de 1967) avec un allumage électronique Bosch alors que la lubrification par carter sec est conservée afin de réduire la hauteur du moteur.
La puissance est de 200 chevaux DIN (ou 230 chevaux SAE) à 6 500 tr/min. Elle est envoyée aux roues arrière via une boîte 5 rapports ZF (pas d’option automatique) et un différentiel à glissement limité. Côté trains roulants, on retrouve les suspensions de la GT Veloce (doubles triangles à l’avant et essieu rigide à l’arrière), une direction sans assistance, 4 freins à disque ainsi que des barres antiroulis à l’avant et à l’arrière. La Montreal inaugure les jantes Campagnolo Turbina (en 14 pouces) que l’on verra ensuite dans de nombreux autres modèles Alfa Romeo.
L’intérieur est lui aussi assez proche du concept mais il est entièrement revu. Les deux grands cadrans ronds principaux restent, toutefois la console et les sièges sont nouveaux. Les options sont limitées : climatisation (après mars 1972), vitres électriques, rétroviseurs électriques, le cuir (sur commande spéciale) et la radio, installée en concession. Bizarrement, le seul logo « Montreal » visible sur l’auto est placé sur le cendrier.
La criseAprès la présentation, la production tarde à démarrer à cause de mouvements sociaux chez Alfa Romeo. Les premiers exemplaires ne quittent les chaînes qu’en décembre 1970. Le processus de fabrication est d’ailleurs assez compliqué. Les planchers sont estampillés à l’usine Alfa Romeo d’Arese avant d’aller à l’usine Bertone de Caselle pour recevoir la carrosserie. Puis, les autos partent à l’usine Bertone de Grugliasco pour recevoir le traitement anticorrosion et la peinture ainsi que l’aménagement intérieur avant de retourner à Arese pour accueillir la mécanique. Les vicissitudes de la production en petite série…
Après un démarrage lent, la Montreal connaît sa meilleure année en termes de ventes en 1972. Elle est appréciée pour son côté grand tourisme et ses performances (220 km/h, 0 à 100 en 7,4 secondes, le 400 mètres en 15,1 secondes et le 1 000 mètres en 27,6 secondes). Par contre, son essieu arrière rigide n’en fait pas une reine de la route secondaire. Et puis arrive le premier choc pétrolier de 1973, qui casse net sa carrière. Il faut dire que le V8 Alfa exige sa ration d’essence et que la Montreal est une auto exclusive, vendue plus cher qu’une Porsche 911 ou qu’une Jaguar Type E.
Les experts ne sont pas tous d’accord à propos des chiffres de production. La fabrication de la Montreal aurait cessé en juillet 1974 et après, Alfa Romeo aurait eu de la difficulté à écouler les derniers exemplaires… jusqu’en 1977 (seulement 23 ventes en 1976 et 27 en 1977). Il se serait fabriqué 3 737 ou 3 733 exemplaires à conduite à gauche ainsi que 180 ou 188 exemplaires avec le volant à droite (produits chez ISO Rivolta, à Modène) contre 10 000 initialement prévus. Logiquement, la Montreal ne connaît que très peu d’évolutions : installation d’un spoiler après les 100 premiers exemplaires, certains éléments de mécanique, de suspension ou de structure optimisés… et c’est tout. À ce moment, Alfa Romeo a bien d’autres chats à fouetter.
Une commercialisation en Amérique du Nord aurait définitivement aidé mais face à de nouvelles normes de pollution, les ingénieurs ont choisi de ne pas développer une version fédéralisée. Ainsi, il ne s’est donc jamais vendu d’Alfa Romeo Montreal neuve à Montréal. Remarquez, il ne s’est pas non plus vendu de Pontiac Parisienne à Paris…
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Source : GuideAutoWeb.com, par Hugues Gonnot
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