En 1976, Volkswagen lance la Golf GTI en Europe sans trop y croire. Mais à la grande surprise du fabricant, les acheteurs se bousculent pour mettre la main sur cette réinterprétation de la performance et de la sportivité automobile. Une nouvelle mode déferle, celle du « Grand Tourisme Injection », dont l’abréviation GTI devient un marqueur incontournable de l’industrie.
En Amérique du Nord, il faut attendre 1983 pour voir arriver un modèle similaire : la Rabbit GTI. Quarante années sont passées et cette compacte vitaminée, devenue la Golf GTI, en est à sa huitième génération. Pour célébrer cet anniversaire, nous avons pensé qu’un match amical serait plus à propos qu’un gâteau de fête…
Cela peut sembler incroyable quand on y pense aujourd’hui, mais la Golf GTI n’aurait jamais vu le jour sans la volonté et la persévérance de quelques employés de Volkswagen. Au milieu des années 70, le constructeur allemand prend un tournant important avec l’arrivée de la première Golf, baptisée Rabbit de notre côté de l’Atlantique. La mission, très délicate, est de remplacer l’incontournable mais vieillissante Beetle. Il faut dire qu’avec son moteur situé derrière l’axe des roues et son design tout en rondeurs, elle peine à cacher son âge. Plutôt que de développer une nouvelle Beetle, Volkswagen change complètement d’approche avec la Golf. Il s’agit d’une voiture à hayon, avec un rouage à traction et un moteur à refroidissement liquide disposé à l’avant. C'est banal aujourd’hui, mais pour Volkswagen, c’était un pari osé à l’époque.
Pour la haute direction, la Golf n’a pas vocation à être une voiture à connotation sportive. Comme la Beetle, son mandat est de demeurer une « Volkswagen » au sens littéral du terme. Une « voiture du peuple », apte à satisfaire une grande quantité de clients à travers le monde. Pourtant, un petit groupe d’employés pense le contraire. Emmenée, entre autres, par Anton Konrad, directeur du service de presse de Volkswagen et Alfons Löwenberg, ingénieur chargé des essais, une équipe se lance dans le développement d’une « Sport-Golf ».
L’idée de base, discutée autour d’une bière et d’un sandwich chez Anton Konrad lui-même, c’est de concevoir une voiture performante sur la route, mais qui serait aussi capable de briller en compétition avec un minimum de préparation. Le directoire de Volkswagen n’a pas été facile à convaincre, et selon Alfons Löwenberg, il a fallu insister lourdement pour obtenir son accord ! Même à l’interne, nombreux étaient les employés à remettre en question les choix techniques retenus et la validité d’un tel projet.
Cependant, la persévérance du petit groupe finit par payer, et le feu vert pour une Golf sportive est finalement donné. Plusieurs noms sont envisagés, Golf TTS, Golf TS, Golf GTS, mais c’est Horst-Dieter Schwittlinsky (qui travaillait au service marketing) qui suggère Golf GTI, pour « Grand Tourisme Injection ». Un véritable coup de maître, cette appellation étant désormais devenue incontournable.
À sa présentation au Salon de Francfort 1975, la Golf GTI est remarquablement bien accueillie par le public. Avec son moteur 1,6 litre développant 110 chevaux (selon les normes européennes) et son poids de seulement 840 kg, la voiture était capable de passer de 0 à 100 km/h en 10 secondes et d’atteindre une vitesse maximale de 182 km/h. Cela peut faire sourire aujourd’hui, mais en 1976 c’était très impressionnant pour une compacte.
En Amérique du Nord, il faut attendre 1979 pour voir arriver un semblant de GTI au Canada (voir plus bas). Mais c’est en 1983 qu’une véritable Rabbit GTI fait son entrée sur notre marché. Et comme en Europe, ce sera un immense succès, qui perdure encore aujourd’hui. Alors que la direction de Volkswagen pensait vendre 5 000 exemplaires à quelques Européens passionnés, le constructeur allemand va écouler 461 690 GTI à l’échelle mondiale! Et on ne parle que des MK1, la première génération. En comptant les huit générations successives de Rabbit et de Golf, on compte 2,4 millions d’unités vendues dans le monde… et ce n’est pas fini!
C’est pour célébrer cet anniversaire comme il se doit que Le Guide de l’auto a réuni deux modèles pour une rencontre amicale. Le premier est une Rabbit GTI MK1 de 1983, tandis que le second est une Golf GTI MK8 flambant neuve. L’idée, ce n’est pas de décider d’une gagnante, mais plutôt de voir si l’esprit de la GTI originale perdure encore aujourd’hui.
VOLKSWAGEN RABBIT GTI MK1 (1983-1984)4 cylindres, 1,8 litre atmosphérique, 90 chevaux
Prix de base en 1983 : 10 295 $ (27 627 $ en 2023)
Du charme du bruit et du plaisirQuand on place les deux autos côte à côte, le format très réduit de la Rabbit montre combien les voitures se sont agrandies et raffinées au fil du temps. La plus ancienne des GTI est toute petite et ses formes rectilignes nous renvoient 40 années en arrière. En particulier les petits phares carrés, la calandre spécifique délimitée par un trait rouge, mais aussi les grands feux arrière rectangulaires, différents des fameux « petits feux » des premières Golf et Rabbit. La teinte noir mat autour de la lunette arrière est également un élément distinctif, qui s’agence particulièrement bien à la couleur grise de notre modèle d’essai.
En actionnant la clenche de la poignée, la porte aux montants très fins s’ouvre sur un habitacle typique des années 80. Monter dans une Rabbit GTI, c’est faire un véritable voyage dans le temps ! Première surprise, il n’y a pas de sellerie à motifs carreautés, mais un agencement à dominante bleue rehaussée par une insertion centrale rouge. Ce velours côtelé (Corduroy), doux au toucher et bien ancré dans son époque, égaye l’habitacle de la GTI MK1.
Du côté du tableau de bord, on remarque surtout les formes strictes et le revêtement bleu, qui rappelle la sellerie. C’est aussi le cas des contre-portes, ornées d’un rectangle rouge évoquant la calandre de la voiture. Face au conducteur, seuls le volant à quatre branches (et quatre boutons) ainsi que l’insertion en plastique intégrant les cadrans sont noirs. Avec la multiplication des équipements de confort et de sécurité dans les voitures actuelles, le dépouillement de la Rabbit étonne 40 ans plus tard. Mis à part un compteur, un compte-tours, une jauge à essence, un indicateur de température d’eau, quelques voyants, une commande de chauffage et un autoradio, circulez, il n’y a rien à voir !
D’accord, il y a tout de même trois indicateurs supplémentaires (voltmètre, montre et température d’huile), histoire d’appuyer un peu plus le côté sportif de la GTI. En revanche, pour monter et descendre les vitres, il faudra utiliser de l’huile de coude. Pour les rétroviseurs, il y a un bouton sur la porte qui impose de tendre le bras pour régler celui de droite… ou de demander à votre passager de le faire pour vous.
Intégralement refait à neuf, le moteur de notre Rabbit d’essai s’ébroue au premier coup de clé. La sonorité, plutôt grave, est plaisante sans se montrer trop envahissante. Avec un 4 cylindres de 1,8 litre développant à peine 90 chevaux, on pouvait s’attendre à des performances limitées dans la circulation actuelle. Contre toute attente, le poids contenu de la voiture et le couple du moteur permettent de démarrer rapidement.
À tel point qu’un appui un peu trop prononcé sur l’accélérateur fait légèrement patiner les roues sur le premier rapport. La transmission, dont le verrouillage se montre ferme et plutôt précis, dispose de rapports très courts. Un bon moyen de profiter d’accélérations vives… et de rendre le roulement bruyant sur voie rapide. En cinquième vitesse, le moteur tourne déjà à 3 000 tr/min à 90 km/h ! Amusante sur les routes secondaires, la Rabbit GTI n’est pas la reine de l’autoroute.
Et sans air climatisé, il faut ouvrir les fenêtres pour maintenir une température correcte dans l’habitacle, ce qui augmente encore le bruit ambiant. Contrairement à la GTI MK8 que nous avons brassée sans aucune vergogne pour en tirer le maximum, nous avons fait preuve de retenue derrière le volant de la MK1. Mais même sans chercher à en tirer toute la quintessence, la Rabbit GTI dévoile un bel équilibre, et un certain entrain dans les virages.
Nettement moins précise que celle de la MK8, la direction guide adéquatement le train avant en dépit d’un léger flou au point milieu. Dépourvue d’assistance, elle ne réclame pas trop de poigne pour tourner depuis l’arrêt. La suspension, plutôt conciliante, absorbe bien les irrégularités de la route. Le freinage, l’élément qui a le plus vieilli, se montre suffisamment efficace dans l’absolu. Mais il ne faut pas hésiter à appuyer fort sur la pédale pour obtenir le ralentissement désiré.
La Rabbit MK1, désormais entrée dans le monde de la collection, attire aussi beaucoup de sympathie autour d’elle. Lors d’un arrêt, nous avons d’ailleurs été abordés par un amateur du modèle, la Rabbit lui rappelant « le bon vieux temps ». Au-delà de ses qualités intrinsèques, c’est peut-être ça que la GTI MK1 fait le mieux : vous renvoyer au coeur des années 80, une époque plus insouciante qu’aujourd’hui, où la notion de plaisir de conduite ne rimait pas forcément avec une débauche de puissance et de technologie.
VOLKSWAGEN GOLF GTI MK8 (2022 à aujourd’hui)4 cylindres, 2 litres turbocompressé, 241 chevaux
Prix de base : 32 495 $ (en 2023)
Esprit, es-tu là?Quand on construit une voiture aussi iconique que la Golf GTI, la grande difficulté est de réussir à se renouveler tout en conservant une certaine continuité. C’est ce que Volkswagen a fait avec plus ou moins de succès depuis 40 ans, certaines générations de la Golf demeurant plus mémorables que d’autres. Avec la MK8, les designers semblent avoir bénéficié de plus de liberté que d’habitude.
La partie avant change radicalement avec des phares revus et une immense grille en nid d’abeilles où nichent les antibrouillards. On retrouve toujours un logo « GTI » et une bande rouge, par contre, la calandre est réduite à sa plus simple expression. L’évolution de la partie arrière est moins radicale, mais se distingue tout de même de la MK7, dont les lignes étaient plus sages.
Toutefois, c’est à l’intérieur que le changement est le plus important. La Golf suit une tendance lourde dans l’industrie, en optant pour des commandes tactiles (système multimédia et chauffage/climatisation) et haptiques (pour le volant). À l’usage, c’est moins intuitif qu’avant, et cela oblige à quitter la route des yeux lorsque l’on souhaite ajuster la température ou la ventilation. Les boutons du volant fonctionnent mieux, mais moins bien que des commandes traditionnelles.
En dépit de cet irritant, l’habitacle se distingue grâce à sa très belle qualité de finition, aux matériaux globalement bien choisis et aux sièges confortables et enveloppants. Ceux de notre modèle haut de gamme (Performance) étaient malheureusement dépourvus du fameux tissu carreauté typique des GTI. Mais que les puristes se rassurent, ce motif mythique reste disponible dans les modèles de base et Autobahn.
Ce n’est pas toujours un critère d’achat pour une voiture à tendance sportive, mais la Golf fournit suffisamment de place pour quatre adultes, un hayon très pratique et un coffre capable d’engloutir une bonne quantité de matériel. C’était déjà une des forces de la MK1 à l’époque, c’est toujours d’actualité avec la MK8.
Du côté de la motorisation, Volkswagen reconduit son 4 cylindres 2 litres turbo (nom de code EA888), que l’on retrouve sous le capot d’une grande quantité de modèles du groupe. Dans le cas de la GTI, il développe 241 chevaux et 273 lb-pi de couple, ce qui est une progression énorme comparée à la Rabbit GTI. Mais cette surpuissance va de pair avec une prise de poids conséquente.
En effet, avec plus de 1 400 kg sur la balance, la MK8 est beaucoup plus lourde que la Rabbit, qui dépassait à peine les 900 kg. Le moteur peut être jumelé à une boîte manuelle à 6 rapports ou à une automatique à double embrayage (DSG) dotée de 7 vitesses. C’est cette dernière qui était montée dans notre modèle d’essai.
La GTI actuelle est évidemment plus raffinée et silencieuse que la Rabbit de 1983. Cela dit, nous avons remarqué que le roulement s’est un peu raffermi comparé à la GTI MK7. Et les jantes optionnelles de 19 pouces montées sur notre voiture n’arrangent pas les choses. Les bruits de roulement, nettement mieux filtrés que dans les années 80, se font tout de même entendre surtout à vitesse d’autoroute. Grâce à son couple important, la MK8 n’a aucune difficulté à décoller depuis l’arrêt et accélère promptement. La boîte DSG fonctionne globalement bien, mais passe vite au rapport supérieur pour économiser du carburant, ce qui place parfois le moteur à la limite du sous-régime. Un petit désagrément vite oublié quand on décide de hausser le rythme.
Avec le mode Sport enclenché, la direction se raffermit légèrement, l’accélérateur répond plus rapidement et la boîte de vitesses laisse le conducteur exploiter pleinement la mécanique. Le moteur, fort en couple dès les plus bas régimes et puissant dans les tours, est un régal à utiliser. La Golf s’accroche à l’asphalte et vous garantit des passages en courbe musclés. L’excellente adhérence des pneus (Hankook Ventus S1 Evo 3) combinée à un châssis rigide à souhait vous garantit une vitesse d’entrée en virage impressionnante.
Et grâce au différentiel autobloquant à commande électronique, le conducteur peut mettre les gaz en sortie de courbe sans voir la puissance partir dans un nuage de fumée. Alors, la dernière itération développée par Volkswagen est-elle la digne descendante de la Rabbit MK1 ? Si l’on considère qu’elle est pratique, performante et plaisante à conduire, absolument. Bien sûr, la modernité et le raffinement de la MK8 n’ont plus rien à voir avec le charme un peu suranné d’une Rabbit de 1983. Mais le plaisir que l’on ressent dans une Golf GTI actuelle n’est pas moins intense qu’à bord de sa devancière, il est juste délivré d’une autre manière.
LA « VRAIE FAUSSE » RABBIT GTI CANADIENNE Si vous êtes un spécialiste des Volkswagen estampillées GTI, vous allez nous dire que cet anniversaire n’en est pas réellement un puisqu’une Rabbit GTI était déjà vendue au Canada en 1979 et 1980. C’est vrai… et faux à la fois ! C’est vrai parce que la voiture portait bien la mention GTI. Mais elle n’avait absolument rien à voir avec la « vraie » Golf GTI développée et vendue en Europe. On pourrait la comparer aux modèles R-Line vendus actuellement par Volkswagen.
En effet, la Rabbit GTI 1979 possédait les éléments distinctifs propres aux modèles sport, comme la calandre cerclée de rouge, les élargisseurs d’aile noirs, les fameux sièges baquets à motifs carreautés ou le volant sport à trois branches. Mais son moteur était le même qu’une Rabbit de base (78 chevaux contre 110 pour une GTI en Europe) et à part une boîte manuelle à 5 rapports et des jantes de 13 pouces spécifiques, la mécanique et les trains roulants étaient identiques au reste de la gamme. Alors qu’en 1983, la différence entre une Rabbit de base et la nouvelle GTI était notable. C’est ce modèle, vendu à l’échelle nord-américaine, qui a véritablement lancé le segment des GTI chez nous… sept longues années après avoir envahi l’Europe !
CE QU’EN DISAIT LE GUIDE DE L’AUTO EN 1983[
Voici le premier essai de la Rabbit GTI 1983, conduite par Jacques Duval. Il avait visiblement été conquis par cette nouvelle venue dans la gamme Volkswagen!
« Pour 1983, la Rabbit veut réaffirmer ses origines germaniques et, à cet effet, la suspension a été raffermie, les sièges redessinés et l’insonorisation améliorée. La grande nouvelle demeure toutefois la venue d’une vraie GTI dérivée d’un modèle (la Golf GTI) qui est la voiture haute performance la plus vendue d’Europe. Si jamais une humble Rabbit vous laisse sur place avec votre Camaro Z28 ou Mazda RX-7, vous saurez que vous avez affaire à cette GTI dont le moteur 1,8 litre de 90 chevaux permet une vitesse de pointe de 175 km/h et un 0 à 100 km/h de moins de 10 secondes. De telles performances sont secondées par une tenue de route non moins spectaculaire grâce à une suspension sportive qui n’est pas pour autant raide ou inconfortable sur mauvaise route. Des pneus plus larges, des jantes spéciales en alliage, des freins à disque ventilés à l’avant et un système d’échappement à tonalité plus sportive sont d’autres éléments qui font de la GTI un petit engin irrésistible. À son volant, on a la certitude de ne jamais s’ennuyer et de redécouvrir le vrai plaisir de conduire. »
RemerciementsUn grand merci à Francis Jeanson pour le prêt de sa superbe Rabbit GTI, une des premières à venir en Amérique du Nord en 1983. Nous tenons également à remercier André Beaulac de nous avoir accueillis chez lui pour la séance de photos.
Ce texte a initialement été publié à l'identique dans le Guide de l'auto 2023.
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Source : GuideautoWeb.com, par Julien Amado
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