Cadillac commence les années 70 avec le mental d’une… Cadillac, comme dirait Marc Messier dans le film Les boys. Les ventes sont au beau fixe, l’image de marque est solide et la concurrence est loin derrière. Les 5 années qui suivront vont tout chambouler…
Le millésime 1970 est celui d’un nouveau record de production avec 238 745 exemplaires. En comparaison, Lincoln est à 59 127 exemplaires et Imperial à 11 822. Mercedes commence à marquer les esprits des acheteurs de voitures de luxe mais il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Alors, pour 1971, Cadillac décide de faire… comme d’habitude.
Toujours (un peu) plus!Les travaux de développement des modèles 1971 débutent à l’automne 1967. Les designers explorent toutes sortes de possibilités : arrière semi-fastback avec des lignes très fluides ou bien un profil classique mais avec des côtés très sculptés. Vient ensuite l’idée de créer un modèle similaire à l’Eldorado, qui est aussi redessinée pour 1971. Finalement, c’est à l’automne 1968 qu’émerge le style définitif. Il reprend les proportions des modèles 1970 mais avec les lignes plus souples et un arrière en pointe (qui devait initialement se prolonger dans le pare-chocs mais qui s’arrêtera juste avant dans les modèles de série).
General Motors doit renouveler tous ses modèles pleine grandeur pour 1971. Trois types de châssis sont utilisés : B (modèles d’entrée de gamme), C (gros modèles) et D (limousine uniquement). Cadillac n’est concerné que par les châssis C et D. Il a été souvent écrit que les modèles 1971 étaient sensiblement plus gros que ceux de 1970. Comme vous pourrez le constater, les longueurs sont marginalement supérieures.
Ce sera apparemment la goutte qui fera déborder le vase puisque nombreux seront les clients à se plaindre de la difficulté de manœuvrer ces autos, ce qui incitera GM à lancer un programme de « downsizing » pour le millésime 1977. Cette décision sera prise quelques semaines avant le premier choc pétrolier d’octobre 1973. Bien vu!
Une gamme traditionnelleLa première chose qui marque lorsque l’on regarde la gamme des modèles « classiques » de Cadillac, c’est l’absence de cabriolet. Cadillac n’en a fabriqué que 15 172 l’année précédente et a préféré ajouter ce type de carrosserie à l’Eldorado (elle ne sera pas spécialement populaire puisqu’entre 7 et 9 000 exemplaires seront produits annuellement entre 1971 et 1975, le chiffre montant à 14 000 en 1976 car Cadillac avait annoncé que c’était la fin des cabriolets).
L’entrée de la gamme est constituée par la Calais. Le nom a été introduit en 1965 en remplacement de la Série 62. Pour 5 899 USD/7 103 CAD en deux portes et 6 075 USD/7 319 CAD en 4 portes, l’acheteur a droit aux vitres électriques, à la direction assistée, aux freins à disque à l’avant, à une horloge, à un accoudoir central avant et… au prestige du logo Cadillac. Bien sûr, la Calais vient équipée du V8 472 pouces cubes (7,7 litres). Ce bloc, introduit en 1968, a vu son taux de compression passer de 10,0:1 à 8,5:1 en 1971 afin de s’accommoder d’essence ordinaire. La puissance baisse de 375 à 345 chevaux et le couple de 525 à 500 lb-pi (Cadillac indique également les chiffres nets dans son catalogue en prévision de 1972, où les chiffres bruts ne seront plus donnés : 220 chevaux et 380 lb-pi). Il est couplé à l’excellente boîte automatique Turbo Hydra Matic TH-400 à 3 rapports. Détail amusant, la planche de bord a été redessinée et intègre les contrôles des essuie-glaces dans … la porte du conducteur. La Calais n’est pas une très bonne affaire et la clientèle ne se précipite pas (voir tableau de production ci-dessous).
La vraie vedette de la gamme, c’est la De Ville, un nom utilisé par Cadillac depuis 1949. Contre 6 264 USD/7 527 CAD en coupé et 6 498 USD/7 815 CAD en sedan, le client jouit d’un intérieur plus joliment fini. Par contre, pour obtenir la climatisation automatique, le régulateur de vitesse, le volant télescopique et réglable en inclinaison, la radio (dont une nouvelle AM/FM avec magnétophone intégré), les sièges à réglages électriques, le toit en vinyle, le verrouillage central, les vitres teintées, l’ouverture électrique du coffre ou la suspension arrière à correcteur automatique de niveau, il faut encore mettre la main à la poche (la Calais possède une liste d’options moins longue).
Vient ensuite la Fleetwood Sixty Special (initialement une création de Bill Mitchell pour le millésime 1938), proposée uniquement en 4 portes à 7 763 USD/9 368 CAD. Elle bénéficie d’un empattement allongé de 3 pouces au profit des passagers arrière, de montants de toit au centre (qui autorisent un entourage chromé des vitres), d’un intérieur en cuir et tissu (les intérieurs tout tissu ou tout cuir sont également offerts), de décorations imitant (à s’y méprendre, précise le catalogue) les bois précieux d’Orient, des sièges avant Dual Confort, de lampes de lecture intégrées dans le montant de toit arrière, de repose-pieds tapissés à l’arrière et du correcteur automatique de niveau. Malgré leur coût élevé, elles sont beaucoup plus populaires que les Calais.
En haut de la gamme trône la limousine Fleetwood Seventy Five, disponible en trois versions : 6 places, 9 places (avec une rangée de strapontins repliables) ou châssis commercial (très populaire auprès des compagnies de conversion en ambulances ou corbillards). Des commandes montées du côté droit du compartiment passager permettent de verrouiller les portes, lever ou baisser les glaces, allumer les lampes de lecture, mettre en marche le climatiseur, régler la radio ou contrôler la vitre de séparation. Vu la longueur de l’engin, Cadillac installe généreusement le rétroviseur droit avec réglage intérieur de série. À 11 869 USD/14 415 CAD en 6 places et 12 008 USD/14 577 CAD en 9 places, c’était quand même la moindre des choses…
Dans un étonnant article de mai 1971, le magazine Motor Trend compare une Cadillac De Ville à une Chevrolet Caprice pour vérifier si la différence de prix de près de 3 500 USD entre le haut de gamme d’une marque populaire et une marque haut de gamme se justifiait encore. Le magazine en profite pour égratigner la suspension de la Cadillac : « La Caprice et la Cadillac, comme toutes les grosses voitures américaines, sont restées avec l’idée que le confort signifie isoler complètement les occupants de la route, en créant une zone tampon souple qui détruit toute sensation de route que le conducteur pourrait avoir… La Cadillac est douce, absorbante et amortissante. Bien que la De Ville absorbe très bien toutes les bosses, elle réagit de manière paresseuse aux imperfections de la route, ce qui donne une incertitude directionnelle en conduite à grande vitesse ». Le magazine rajoute : « Il est triste que les constructeurs automobiles américains pensent qu’une voiture, pour être confortable et luxueuse, doit être forcément grande ». Finalement, Motor Trend conclut : « Nous pouvons dire que la Cadillac est une meilleure voiture. Nous soupçonnions ouvertement que ce serait le cas et, pour les 3 500 $ supplémentaires, elle devrait l’être. Mais nous avons également conclu que la différence entre les voitures n’est pas aussi grande que la différence entre les prix ».
Est-ce que vous croyez qu’il s’agit de la raison de la baisse de 25% de la production par rapport à 1970? Pas du tout. Cette diminution est la conséquence d’une grève de trois mois de la part du syndicat UAW peu de temps après le début du millésime. Très vite, Cadillac va recommencer à battre ses propres records.
La fin des illusionsÉvidemment, puisque les modèles n’ont qu’un an, les modifications pour le millésime 1972 sont relativement restreintes. Les clignotants avant passent du pare-chocs entre les phares principaux. La calandre change ses lignes dominantes horizontales à des lignes verticales. Le système de ventilation de l’habitacle est revu et les prises d’air sur l’arrière disparaissent tandis que les toits en vinyle sont maintenant rembourrés. Les puissances sont dorénavant indiquées en chiffres nets et celle du 472 pc reste à 220 chevaux. Avec une année pleine de production, les chiffres sont repartis à la hausse : +41%!
Pour la première fois de son histoire, Cadillac passe la marque des 300 000 exemplaires produitspour le millésime 1973. Parce que non seulement les modèles classiques se portent bien mais les ventes d’Eldorado vont presque doubler par rapport à 1971. En raison des normes gouvernementales qui imposent des pare-chocs résistant à des impacts de 5 mph, l’avant est redessiné. La grille est traversée par un pare-chocs rectiligne et les phares et clignotants sont intégrés dans un même bloc. Le châssis, les supports de carrosserie, la ligne d’échappement et les accessoires du moteur sont revus pour réduire la propagation des bruits parasites. Le V8 reçoit une vanne de recirculation des gaz d’échappement (vanne EGR pour Exhaust Gaz Recirculation). Parmi les nouvelles options, on retrouve un miroir passager éclairé, un thermomètre extérieur, l’intérieur en velours frappé Medici et l’ensemble d’Elegance et son intérieur encore un peu plus huppé.
L’introduction de pare-chocs arrière « fédéralisés » pour l’année modèle 1974 entraîne le restylage des flancs et la disparition de la forme en pointe sur les ailes arrière. Les feux arrière ne sont plus intégrés dans le pare-chocs mais déplacés sous le coffre. À l’avant, les phares sont remis ensemble et les clignotants déplacés vers les ailes alors que la grille adopte un motif rectangulaire. Les voitures mesurent 5,86 mètres (Calais/De Ville), 5,94 m (Fleetwood) et 6,41 m (limousine). Les coupés perdent leur profil de hardtop avec un toit redessiné. L’intérieur se pare d’une nouvelle planche de bord qui intègre de nouveau la commande des essuie-glaces.
Le taux de compression du V8 est encore une fois abaissé (8,25:1), la puissance descend à 205 chevaux et le couple à 365 lb-pi. La De Ville peut recevoir en option un ensemble Elegance ou un toit simulant celui d’un cabriolet. La Fleetwood bénéficie de deux ensembles intérieurs (Brougham d’Elegance ou Talisman, voir ci-dessous). Une option intéressante mais qui ne retiendra pas l’attention des acheteurs fait aussi son apparition : les coussins gonflables. Baptisés Air Cushion Restraint System et installés devant le conducteur et le passager (entraînant un déplacement de la boîte à gants), ils ne seront offerts que durant trois millésimes avant de disparaître. Bardé de nouveautés, le millésime démarrait bien. Cependant, quelques semaines après sa présentation, la première crise du pétrole débutait et allait se poursuivre jusqu’en mai 1974. Presque instantanément, les grosses voitures sont boudées et la production va s’en ressentir : -20%!
La calandre est redessinée pour 1975 avec l’adoption de phares carrés et des clignotants modifiés. La grille reçoit des motifs rectangulaires plus petits. Le pilier C des berlines intègre dorénavant des vitres opéra. Le 472 pc est remplacé par le 500 pc (8,2 litres) des Eldorado. Malgré son taux de compression de 8,5:1, la puissance n’est que de 190 chevaux mais le couple reste à 360 lb-pi. En mars 1975, l’injection électronique est ajoutée à la liste des options. La puissance monte à 215 chevaux et le couple à 400 lb-pi. Dans le but de réduire la consommation, le rapport de pont est allongé de 2,93:1 à 2,73:1 (les limousines restent à 3,15:1). Un toit ouvrant en verre est disponible contre un supplément. Dans un marché morose, les ventes des modèles pleine grandeur remontent de 0,8%... ce qui n’est pas si mal. Mais, signe des temps, la véritable vedette de l’année chez Cadillac, c’est la Seville, un modèle compact destiné à concurrencer Mercedes-Benz et BMW.
Malgré le peu de nouveautés du millésime 1976 (nouvelle grille, verrouillage automatique des portes lorsque la boîte est en Drive, nouvelles selleries, vitres teintées de série), les ventes des modèles pleine grandeur repartent à la hausse (+6%) et Cadillac se permet de battre de nouveau son record de production avec 309 139 exemplaires (bien aidé en cela par l’Eldorado et la Seville, qui réalisent de bons chiffres). Est-ce que la crainte de la clientèle traditionnelle de rouler dans de « petites » voitures (5,62 mètres, tout de même) à partir de l’année suivante y est pour quelque chose? Sachant que l’on observera le même phénomène chez Lincoln en 1979 avant le passage à la plate-forme Panther plus petite en 1980, on peut penser que oui.
Avec une crise pétrolière, la montée en puissance des marques de luxe allemandes définies par la presse spécialisée comme le nouveau standard et le lancement de la Seville, il était évident pour Cadillac qu’il n’était plus possible de faire comme d’habitude et que ses paquebots routiers étaient condamnés. Le « downsizing » sera vu comme une nécessité et comme une révolution (même s’il ne sera que de 24 centimètres). Au moins, Cadillac était prête pour la prochaine crise pétrolière… du moins, c’est ce ses dirigeants croyaient!
Cadillac Fleetwood Talisman : la plus décadente ! Si les Fleetwood Talisman ne sont pas les plus rares (quelques carrossiers réaliseront des conversions en familiales ou en utes façon Ranchero), elles sont certainement les plus décadentes, surtout en 1974. À 1 800 USD, cette option coûte presque le prix d’une voiture (une Chevrolet Vega 74 demande 2087 USD). À ce prix, vous avez accès à ce que Cadillac définit comme « l’ultime dans le luxe et le confort individuel ». Plus de banquette, ni à l’avant ni à l’arrière. À la place, vous avez droit à des sièges individuels (dont le design est inspiré par le mobilier européen, selon Cadillac), séparés tant à l’avant qu’à l’arrière par une console centrale, rendant ainsi une auto de 5,94 mètres de long capable de transporter seulement 4 personnes.
La console avant reçoit un panneau ouvrant éclairé accueillant un carnet et un stylo ainsi qu’un compartiment de rangement verrouillable. Celle de l’arrière bénéficie aussi d’un compartiment de rangement et d’un support pour miroir. La finition de l’habitacle est en velours frappé Medici. Et il y en a partout : les fauteuils, les consoles, les portes, les montants et même au plafond. Quatre choix de couleurs sont offerts : noir, bleu foncé, ambre et terracotta (ce choix réduit le nombre de couleurs extérieures disponibles, afin de garder une coordination). En plus, Cadillac proposait en option (85 USD) des coussins en velours assortis. Ils sont aujourd’hui absolument introuvables.
Il est à noter qu’un intérieur en cuir coûtait 2 450 USD (en bleu foncé ou en brun moyen), mais cette option est extrêmement rare. L’édition Fleetwood Talisman bénéficie aussi de moulures à décor en relief, de pochettes à l’arrière des sièges, d’un revêtement de pavillon en vinyle grenu façon cuir d’élan (supprimé dans de très rares cas), d’enjoliveurs de roue spéciaux, d’un écusson sur le capot et de l’inscription « Fleetwood Talisman » sur le pilier arrière. Tout cela en plus des équipements de série de la Fleetwood Brougham. Elle est tellement exclusive qu’elle n’est choisie que par 1 898 acheteurs.
Pour 1975, la console centrale arrière est supprimée (apparemment, les acheteurs ne la trouvaient pas très pratique… ah bon?), l’option cuir disparaît, les couleurs intérieures or et bois de rose remplacent l’ambre et le terracotta. La réduction du tarif (1 788 USD) n’entraîne pas un regain d’intérêt : 1 238 commandes seulement. Le millésime 1976 connaît des changements dans les couleurs, qui passent à cinq (noir, bleu foncé, gris clair, bleu vert foncé et chamois clair) et un prix qui monte à 1 813 USD. Seules 1 200 Fleetwood Talisman seront construites cette année-là et l’option ne sera pas reconduite sur les nouvelles Cadillac de 1977. Rarissimes, les Fleetwood Talisman représentent à elles seules tous les excès de l’industrie automobile américaine de cette époque. Mais connaissez-vous une façon plus confortable de rouler?
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Source : GuideAutoWeb.com, par Hughes Gonnot
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